Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/500

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démarche qu’il attend, j’en suis convaincu, et dont le résultat doit enfin te rendre heureux pour toujours. Cette démarche, que je ne voulais pas risquer sans t’en avoir parlé d’abord, je vais ce matin la faire et m’expliquer franchement avec don Tadeo.

Un sourire triste plissa les lèvres du jeune homme, il laissa tomber sans répondre la tête sur sa poitrine.

— Qu’as-tu donc ? s’écria Valentin avec inquiétude, d’où provient que cette résolution, qui doit combler tous tes vœux, te plonge dans la douleur ? explique-toi, Louis !

— À quoi bon m’expliquer ? pourquoi parler aujourd’hui à don Tadeo ? qui nous presse ? répondit évasivement le jeune homme.

Valentin le regarda avec étonnement en hochant la tête ; il ne comprenait rien à la conduite de son ami ; cependant il résolut de le pousser dans ses derniers retranchements.

— Voici pour quelle raison : je veux assurer ton bonheur le plus tôt possible, dit-il ; la vie que depuis un mois je mène dans cette hacienda me pèse ; depuis mon arrivée en Amérique, mon caractère s’est modifié ; la vue des grandes forêts, des hautes montagnes, enfin de toutes ces magnificences sublimes que Dieu a jetées à pleines mains dans le désert, a développé les instincts de voyageur que je portais en germes au fond de mon cœur ; les péripéties toujours nouvelles de la vie d’aventure que je mène depuis quelque temps me font éprouver des voluptés sans bornes ; en un mot, je suis devenu un passionné coureur des bois, et j’aspire après le moment où il me sera permis de reprendre mes courses sans but dans le désert.

Il y eut un silence.

— Oui, murmura le comte au bout d’un instant, cette vie est pleine de charmes.

— Voilà pourquoi il me tarde de me lancer de nouveau dans ces courses fiévreuses.

— Qui nous empêche de les reprendre ?

— Toi, pardieu !

— Tu le trompes, frère : je suis aussi fatigué que toi de la vie que nous menons, nous partirons quand tu le voudras.

— Ce n’est pas ainsi que je l’entends. Sois franc avec moi : il est impossible que l’ardent amour que tu éprouvais pour doña Rosario se soit ainsi évanoui tout à coup !

— Qui te fait supposer que je ne l’aime pas ?

— Voyons, reprit Valentin, finissons-en. Si tu aimes doña Rosario, pourquoi veux-tu partir et refuses-tu de l’épouser ?

— Ce n’est pas moi qui refuse ? murmura le jeune homme en soupirant, c’est elle.

— Elle ! oh ! cela n’est pas possible.

— Frère, il y a longtemps déjà, le lendemain même de la nuit où à Santiago nous l’avions délivrée des mains des bandits qui l’enlevaient, elle-même m’a dit que jamais nous ne serions unis, elle m’a ordonné de fuir sa présence en