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jetèrent un regard en arrière comme pour saluer une dernière fois ceux qui leur étaient chers, et qu’ils abandonnaient pour toujours.

Don Tadeo était immobile à la même place.

Doña Rosario, la tête baissée, continuait à jouer machinalement avec les oreilles du chien.

À l’aspect de cette indifférence cruelle, une colère insensée mordit le comte au cœur.

— César ! cria-t-il.

À la voix de son maître, le terre-neuvien se dégagea vivement des bras de la jeune fille, et d’un bond il fut auprès de lui.

— César ! murmura faiblement doña Rosario de sa voix mélodieuse.

Le chien se retourna vers elle.

— César ! répéta-t-elle plus doucement encore.

Alors, malgré les signes et les ordres de son maître, l’animal se coucha aux pieds de la jeune fille.

Le comte, l’âme brisée, fit un effort suprême et s’élança vers la porte.

— Louis ! s’écria tout à coup doña Rosario en levant vers lui son visage inondé de larmes et ses yeux suppliants, Louis, vous aviez juré de ne jamais vous séparer de César, pourquoi donc l’abandonneriez-vous ?

Louis chancela comme frappé de la foudre, une expression de joie inexprimable éclaira son visage, il laissa échapper la lettre et, poussé doucement par Valentin, il tomba aux genoux de la jeune fille radieuse.

— Mon père ! s’écria doña Rosario en lui jetant les bras autour du cou, je savais bien qu’il m’aimait ! mon père, bénissez vos enfants !

Valentin éprouva une douleur cruelle mêlée à une joie immense à ce dénoûment.

Il refoula au fond de son âme les sentiments qui l’agitaient, et ramassant la lettre :

— C’est moi, dit-il avec un doux sourire, qui porterai la réponse à don Gregorio.

— Oh ! non ! fit la jeune fille avec une moue charmante en lui tendant la main, vous ne nous quitterez pas, mon ami : n’êtes-vous pas le frère bien-aimé de Louis ! Oh ! nous ne vous laisserons pas partir !… nous ne pourrions être heureux loin de vous, à qui nous devons notre bonheur.

Valentin baisa la main que lui tendait la jeune fille en essuyant une larme à la dérobée, mais il ne répondit pas.

Cette journée s’écoula rapide et heureuse pour tous.

Quand le soir fut venu :

— Adieu ! frère, dit avec émotion Valentin avant d’entrer dans sa chambre à coucher, grâce au ciel te voilà désormais à l’abri du malheur ! ma tâche est accomplie !

Le coin le regarda avec inquiétude.

— Frère, lui dit-il, d’où vient cette tristesse ? souffrirais-tu ?

— Moi, fit Valentin en essayant de sourire, je n’ai jamais été aussi heureux !