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protées insaisissables qu’il rencontrait incessamment sur ses pas, qui contrecarraient tous ses projets et lui échappaient sans cesse.

Il comprenait bien que la nouvelle de la résurrection de don Tadeo allait donner de la force aux patriotes et compliquer ses embarras politiques, en plaçant à leur tête un homme résolu qui n’aurait plus de considérations à garder, et lui ferait une guerre acharnée.

Sa perplexité était extrême.

Il sentait instinctivement que le terrain était miné sous ses pas, qu’il marchait sur un volcan ; mais il ne savait comment démasquer les ennemis qui conspiraient sa ruine.

Le récit fait par sa maîtresse avait produit sur lui l’effet d’un coup de foudre.

Il ne savait quel parti prendre, quelles mesures employer pour déjouer les trames nombreuses ourdies contre lui de tous les côtés à la fois.

La Linda ne le perdait pas de vue.

Elle suivait sur son visage les diverses impressions causées par ce qu’elle lui avait appris.

Nous ferons en deux mots connaître au lecteur ce personnage appelé à jouer un rôle important dans la suite de cette histoire[1].

Le général don Pancho Bustamente, qui a laissé au Chili une réputation de cruauté si terrible qu’on ne le nommait ordinairement que El Verdugo, — le bourreau, — était un homme de trente-cinq à trente-six ans au plus, quoiqu’il en parût près de cinquante, d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, bien prise et parfaitement proportionnée, qui annonçait une grande vigueur corporelle.

Les traits de son visage étaient assez réguliers, mais son front bombé, ses yeux gris, profondément enfoncés sous l’arcade sourcilière et rapprochés de son nez busqué, sa bouche large et ses pommettes saillantes lui donnaient une ressemblance lointaine avec un oiseau de proie.

Son menton était carré, indice d’entêtement ; ses cheveux grisonnants et ses moustaches épaisses étaient coupés militairement en brosse.

Il portait le magnifique uniforme, surchargé de broderies d’or sur toutes les coutures, d’officier supérieur.

Don Pancho Bustamente était fils de ses œuvres, ce qui prévenait en sa faveur.

Simple soldat d’abord, il s’était par une conduite exemplaire et des talents hors ligne, incontestables, élevé de grade en grade jusqu’aux premiers rangs de l’armée et avait en dernier lieu été nommé ministre de la Guerre.

Alors la jalousie, qui s’était tue pendant tout le temps qu’il était resté confondu dans la foule, s’était déchaînée contre lui.

Le général, au lieu de mépriser ces calomnies qui auraient fini par tomber d’elles-mêmes, leur donna en quelque sorte raison en inaugurant un système de sévérité et de cruauté implacable.

  1. Des raisons de haute convenance nous ont obligé de changer les noms et les portraits des personnages de cette histoire qui, pour la plupart, existent encore. Mais nous garantissons l’exactitude des faits que nous rapportons.