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levée contre lui, s’éloigner davantage chaque fois qu’il se croyait sur le point de l’atteindre.

Au moment où nous le mettons en scène, il se trouvait dans une des circonstances les plus critiques de sa carrière politique.

Il avait beau faire fusiller en masse les patriotes, les conspirations, ainsi que cela arrive toujours en pareil cas, se succédaient sans interruption ; le système de terreur qu’il avait inauguré, loin d’intimider les populations, paraissait, au contraire, les pousser à la révolte.

Des sociétés secrètes s’étaient formées.

L’une d’elles, la plus puissante et la plus terrible, celle des Cœurs sombres, l’enveloppait de rets invisibles dans lesquels il se débattait en vain.

Il pressentait que s’il ne brusquait pas le dénoûment du coup d’État qu’il méditait, il était perdu sans ressource.

Après un silence assez long, le général prit place aux côtés de la Linda.

— Nous vous vengerons, lui dit-il d’une voix sombre, soyez patiente !

— Oh ! lui répondit-elle avec amertume, ma vengeance est commencée à moi !

— Comment cela ?

— J’ai fait enlever dona Rosario del Valle, la femme que don Tadeo de Leon aime !

— Vous avez fait cela ? dit le général.

— Oui, avant dix minutes elle sera ici !

— Oh ! oh ! fit-il, comptez-vous donc la garder avec vous ?

— Moi ! s’écria-t-elle, non ! non ! général : on dit que les Pehuenches aiment beaucoup les femmes blanches ; je veux leur faire cadeau de celle-là.

— Oh ! murmura don Pancho, les femmes seront toujours nos maîtres ! elles seules savent se venger ! Mais, dit-il à voix haute, ne craignez-vous pas que l’homme auquel vous avez confié cette mission ne vous trahisse ?

Elle sourit avec une ironie terrible.

— Non, dit-elle ; cet homme hait don Tadeo plus que moi. C’est pour sa vengeance qu’il travaille !

Au même instant, des pas résonnèrent dans la chambre qui précédait le salon.

— Tenez, général ! continua la Linda, voici mon émissaire. Entrez ! cria-t-elle.

Un homme parut.

Son visage était pâle, défait ; ses vêtements déchirés et en désordre étaient tachés de sang en divers endroits.

— Eh bien ? fit-elle avec inquiétude.

— Tout est manqué ! répondit l’arrivant d’une voix haletante.

— Hein ? fit la Linda avec un rugissement de bête fauve.

— Nous étions cinq, continua l’homme sans s’émouvoir, nous avions enlevé la señorita. Tout allait bien, lorsque, à quelques pas d’ici, nous avons été attaqués par quatre démons sortis je ne sais d’où.

— Et vous ne vous êtes pas défendus, misérables ! interrompit le général avec violence.