Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/63

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— Tu as raison. Couchons-nous donc, nous ne savons pas ce que demain nous réserve.

Un quart d’heure après, les deux jeunes gens dormaient profondément.

En même temps que les Français disparaissaient dans la maison, à la suite du majordome, don Tadeo en sortait par une autre porte.

— Eh bien ! lui demanda don Gregorio.

— Elle repose. Sa frayeur est calmée, répondit don Tadeo ; la joie qu’elle a éprouvée en me reconnaissant, moi qu’elle croyait mort, lui a causé une crise salutaire.

— Tant mieux ! donc de ce côté nous pouvons être tranquilles ?

— Complètement.

— Vous sentez-vous assez fort pour assister à une entrevue importante ?

— Est-il donc nécessaire que je sois présent ?

— Je tiendrais à ce que vous entendissiez les communications qu’un de nos émissaires va me faire dans un moment.

— C’est bien imprudent à vous, observa don Tadeo, de recevoir un tel homme dans votre maison !

— Oh ! ne craignez rien ! je le connais de longue date. Et puis il ignore chez qui il se trouve ; il a été amené les yeux bandés par deux de nos frères. Du reste, nous serons masqués.

— Allons ! puisque vous le désirez, je suis à vous.

Les deux amis, après s’être couvert le visage de loups de velours noir, entrèrent dans la salle où se tenaient ceux qui les attendaient.

Cette pièce, qui servait de salle à manger, était vaste et garnie d’une large table ; elle était faiblement éclairée par deux candilejos, dans lesquels brûlaient de minces chandelles de suif jaune faites à la baguette, qui ne répandaient qu’une lueur douteuse, insuffisante pour distinguer parfaitement les objets ainsi laissés dans une demi-obscurité.

Trois hommes, couverts de ponchos bariolés et de chapeaux à larges bords rabattus sur les yeux, fumaient nonchalamment leurs minces papelitos, en se chauffant autour d’un brasero en cuivre placé au milieu de la salle, et dans lequel achevaient de se consumer lentement des noyaux d’olives.

À l’entrée des chefs des Cœurs sombres ces hommes se levèrent.

— Pourquoi, demanda don Tadeo qui reconnut du premier coup d’œil l’émissaire, n’avez-vous pas attendu, don Pedro, la réunion de demain à la Quinta Verde pour communiquer au conseil les révélations que vous avez à faire ?

L’homme que l’on nommait don Pedro salua respectueusement.

C’était un individu de trente à trente-cinq ans, d’une taille haute. Sa figure, taillée en lame de couteau, avait une expression cauteleuse, fourbe.

— Ce que j’ai à dire ne regarde qu’indirectement les Cœurs sombres, fit-il.

— Alors, que nous importe ? interrompit don Gregorio.

— Mais cela intéresse beaucoup les chefs et particulièrement le chef Roi des ténèbres.

— Expliquez-vous donc, car il est devant vous, reprit don Tadeo en faisant un pas en avant.