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XVI

LA QUINTA VERDE


Non loin de Rio Claro, charmante petite ville bâtie dans une délicieuse situation entre Santiago et Talca, il y avait alors et il y a probablement encore aujourd’hui, sur une colline qui domine au loin la campagne, une jolie quinta aux murs blancs et aux contrevents verts coquettement cachée aux yeux indiscrets par un bouquet d’arbres de toutes sortes, chênes acajous, érables, palmiers, aloès, cactus, etc., qui s’élançaient et s’enchevêtraient si bien autour d’elle, qu’ils lui formaient une espèce de rempart presque infranchissable.

Chose difficile à expliquer ! À cette époque de convulsion et de bouleversements, cette délicieuse habitation, par un privilège ignoré de tous, avait jusqu’alors échappé, comme par miracle, à la dévastation et au pillage qui la menaçaient incessamment et qui s’abattaient sans relâche autour d’elle, l’enveloppant pour ainsi dire d’un réseau de ruines, sans cependant avoir jamais troublé cette tranquille demeure, bien que parfois la tempête humaine fût venue hurler sous ses murs, et que dans l’ombre de la nuit elle eût souvent vu reluire la lueur rougeâtre des torches incendiaires ; tout à coup, sans que l’on sût comment et comme par enchantement, les cris de meurtre cessaient et les torches s’éteignaient, inoffensives, aux mains de ceux qui, une minute auparavant, les agitaient avec fureur.

Cette habitation se nommait la Quinta Verde.

Par quel prodige cette maison si simple, en apparence du moins, si semblable aux autres, avait-elle évité le sort commun, et restait-elle seule peut-être de toutes les maisons de campagne chiliennes, calme et tranquille au milieu du bouleversement général, également respectée par les deux partis qui se disputaient le pouvoir, et regardant insoucieusement du haut de son coquet mirador la révolution qui s’agitait à ses pieds et emportait, comme dans un tourbillon infernal, villages, maisons, fortunes et familles ?

C’est ce que bien des gens avaient à plusieurs reprises cherché à savoir sans pouvoir jamais y parvenir.

Personne n’habitait ostensiblement cette quinta dans laquelle, à certains jours, on entendait des bruits qui remplissaient d’une crainte superstitieuse les dignes huaos logés aux environs.

Le lendemain du jour où s’étaient passés les événements qui ouvrent cette histoire, la chaleur avait été accablante, l’atmosphère pesante, et le soleil s’était couché dans un flot de vapeurs pourprées, symptômes d’un orage qui éclata avec fureur dès que la nuit fut complètement tombée.

La brise tournoyait en sifflant à travers les arbres, dont les branches s’entrechoquaient avec un bruit lugubre ; le ciel était noir, sans une étoile de