Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/84

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— Et maintenant si vous avez changé d’avis lorsque nous nous reverrons, si vous consentez à rester parmi nous, souvenez-vous que nous sommes frères et ne craignez pas de me faire connaître votre nouvelle détermination.

— Je ne puis vous dire ni oui ni non, monsieur ; il ne tiendra pas à moi que nous ne continuions à nous voir fréquemment.

Après quelques autres paroles échangées entre eux, les trois hommes se séparèrent.

Quelques heures plus tard, au lever du soleil, Louis et Valentin, montés sur de magnifiques chevaux que don Tadeo les avait forcés d’accepter, sortirent de la chacra, suivis par César.

Valentin avait reçu ses dépêches des mains du majordome.

Au moment où ils quittaient la ferme, Louis tourna instinctivement la tête, comme pour saluer d’un dernier regard ces lieux qu’il abandonnait pour toujours et qui lui étaient devenus si chers.

Une fenêtre s’entr’ouvrit doucement, et la jeune fille montra son charmant visage inondé de larmes.

Les deux hommes s’inclinèrent respectueusement sur le cou de leurs chevaux, la fenêtre se referma, Louis poussa un profond soupir.

— Adieu pour jamais ! murmura-t-il en étouffant un sanglot.

— Peut-être ! lui dit Valentin.

Ils piquèrent leurs chevaux et disparurent bientôt dans les méandres de la route.

À trois ou quatre jours de là, don Tadeo et don Gregorio partaient, eux aussi, pour Valdivia, où ils conduisaient dona Rosario.

Mais l’ennemi dont ils croyaient s’être débarrassés à la Quinta Verde n’était pas mort.

Le poignard des Cœurs sombres n’avait pas été plus sûr que les balles du général.

Les deux ennemis allaient bientôt se retrouver en présence.

Malgré l’affreuse blessure qu’il avait reçue, grâce aux soins intelligents qui lui avaient été prodigués, et surtout grâce à la force de sa constitution, le général Bustamente n’avait pas tardé à entrer en convalescence.

Don Pancho et la Linda, réunis désormais par le lien le plus fort, une haine personnelle commune, se préparaient à prendre leur revanche et à tirer de don Tadeo une éclatante vengeance.

Le général avait signalé son retour à la santé par des cruautés inouïes commises contre tous les hommes soupçonnés de libéralisme, et en inaugurant sur tout le territoire de la République un système épouvantable de terreur.

Don Tadeo de Leon avait été mis hors la loi, ses amis jetés dans les cachots et ses biens confisqués, puis, lorsque le général pensa par toutes ces vexations avoir réduit son ennemi aux abois et ne plus rien avoir à redouter de lui ni de ses partisans, il quitta Santiago sous le prétexte d’une visite dans les provinces de la République, et ne tarda pas à prendre, accompagné de sa maîtresse, la route de Valdivia.