Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/98

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— L’alpo Ulmen se souviendra, dit le chef Puelche d’une voix brisée par l’émotion.

Il déposa un baiser sur le front de la chétive créature qui lui souriait, porta sur sa femme un regard chargé de tendresse et s’élança au dehors, suivi de ses compagnons.

Don Antonio leur fit amener des chevaux, leur distribua des armes, et les quatre Indiens disparurent dans la nuit.

Bien des années se passèrent sans que don Antonio entendît parler du Chacal Noir ; l’enfant et la femme étaient toujours à l’hacienda, traités comme s’il eussent fait partie de la famille du Chilien.

L’hacendero s’était marié ; malheureusement, après un an d’union qu’aucun nuage n’était venu troubler, sa femme était morte en donnant le jour à une charmante petite fille que son père avait nommée Maria.

Les deux enfants grandissaient côte à côte, surveillés par l’inquiète sollicitude de l’Indienne, et s’aimant comme frère et sœur.

Un jour, une nombreuse troupe de Puelches, magnifiquement parés et équipés, arriva à Rio Claro ville dans laquelle habitait l’hacendero.

Le chef de ces Indiens était le Chacal Noir, il venait redemander sa femme et son fils à celui qui jadis les avait sauvés.

L’entrevue fut des plus touchantes.

Le chef oublia l’impassibilité indienne, il se livra sans contrainte à la violence des sentiments qui l’agitaient et savoura le bonheur de retrouver, après tant de temps, ces deux êtres qui étaient ce qu’il avait de plus cher au monde.

Quand il fallut partir, que les enfants apprirent qu’ils allaient être séparés, ils versèrent d’abondantes larmes.

Depuis leur naissance, ils étaient accoutumés à vivre ensemble, ils ne comprenaient pas pourquoi il ne devait plus en être ainsi.

Don Antonio avait étendu son commerce sur différents points des frontières, il possédait des chacras dans lesquelles l’élève des bestiaux était pratiquée sur une vaste échelle.

Le Chacal Noir, qui lui avait voué une reconnaissance sans borne et une amitié à toute épreuve, lui fut d’une grande utilité pour ses transactions ; souvent il lut faisait faire d’excellents marchés avec ses compatriotes, et surtout sauvegardait ses propriétés contre les déprédations des pillards.

Tous les ans, don Antonio visitait ses chacras parcourait l’Araucanie et passait une couple de mois dans la tribu des Serpents-Noirs, auprès de son ami le Chacal Noir ; sa fille l’accompagnait toujours dans ses voyages, à cause de l’amitié qui liait les deux enfants.

Les choses allèrent ainsi plusieurs années.

À l’époque où commence cette histoire, le Chacal Noir était mort, comme un brave guerrier, les armes à la main, dans un combat sur la frontière ; son fils Antinahuel, âgé de vint-cinq ans à peu près, qui promettait de marcher sur ses traces, avait été élu Apo Ulmen à sa place, puis enfin toqui de son Utal-Mapus ou province, ce qui en faisait un des principaux personnages de l’Araucanie.