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Le Forestier

prétentions sur la vallée qu’il avait plu à No Santiago de choisir pour y établir sa demeure.

Quoi qu’il en fût, celui-ci récompensa généreusement le notaire, serra le papier avec soin, et regagna gaiement la montagne, où il arriva deux heures avant le coucher du soleil, tant il avait grand désir de revoir sa femme, dont il était séparé depuis le matin.

Alors commença pour les solitaires une existence réellement patriarcale.

Paquita était la sœur de lait de doña Maria Dolores ; Pedro et Juanito étaient, eux, les frères de lait de No Santiago, de sorte que ces cinq personnes formaient réellement une même famille, tant ils étaient unis.

Cependant, malgré les prières de No Santiago et même malgré ses ordres, jamais les trois serviteurs ne consentirent à s’asseoir à la table avec leur maître.

De guerre lasse, celui-ci finit par les laisser vivre à leur guise ; ce qui les rendit très joyeux.

No Santiago chassait. Maria Dolores surveillait le ménage, Paquita faisait les gros ouvrages et soignait la basse-cour, les hommes entretenaient le jardin et labouraient les champs.

Chaque dimanche, la petite colonie allait entendre la messe dans une pauvre bourgade située sur le versant de la montagne, du côté de Tolède.

Ils étaient heureux !

Au bout de quelques mois les deux femmes accouchèrent à quelques jours d’intervalle.

Paquita, la première, mit au monde un gros garçon.

Quinze jours plus tard, Maria Dolores donna le jour à une charmante petite fille.

Paquita voulut nourrir les deux enfants ; d’ailleurs, elle ne savait pas lequel elle aimait le mieux, le sien ou celui de sa maîtresse.

L’année suivante, nouvel accouchement dans les mêmes conditions. Les choses se passèrent comme la première fois ; ce fut encore Paquita qui fut la nourrice des deux enfants.

La femme de No Santiago, puisque tel est le nom dont, pour des motifs sans doute très graves, il a plu à notre personnage de s’affubler, doña Maria Dolores, dis-je, soit que l’air pur et vif de la montagne lui eût fait du bien, soit que le bonheur calme dont elle jouissait eût apaisa en elle certaines douleurs secrètes, avait senti peu à peu ses forces revenir avec la santé ; jamais elle ne s’était sentie mieux portante.