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Le Forestier

— Vous ? murmura Fernand ou le capitaine Laurent.

— Moi-même, señor.

— Vous savez que je ne vous comprends pas du tout, José ?

— L’explication sera courte et claire, señor, écoutez-moi.

— Je vous écoute

— Pour des motifs qu’il est inutile que vous connaissiez quant à présent, señor, je fus amené à Panama tout enfant ; j’avais à peine dix ans, mais j’étais grand et fort pour mon âge ; j’avais la mine éveillée, je plus à un capitaine de la marine du commerce espagnol, il m’acheta ; ce brave homme s’intéressa à moi, peu à peu me prit en amitié, et, comme je lui avais raconté mon histoire, sans lui rien cacher, avec la plus entière franchise, il se sentit ému de pitié pour mes malheurs ; et lorsque j’eus atteint l’âge de quinze ans, il m’affranchit. J’étais libre ; au lieu de quitter mon bienfaiteur, je demeurai auprès de lui ; j’avais juré de ne pas l’abandonner tant qu’il vivrait ; ce capitaine, qui se nommait don Gatierrez Aguirre, faisait principalement la contrebande des perles ; il gagnait beaucoup d’argent dans ce trafic, mais il jouait gros jeu ; le gouvernement espagnol ne plaisante pas avec tes contrebandiers don Gutierrez possédait de grandes richesses, mais il redoutait au premier jour une descente de justice dans sa maison ; les soupçons étaient éveillés sur lui ; on le surveillait ; un jour il me communiqua ses craintes, et me pria de lui amener quelques Indiens qui, sous sa direction, construiraient âne maison telle qu’il désirait en avoir une le capitaine, lors d’un voyage au Callao quelques mois auparavant, avait fait dresser par un architecte espagnol un plan qu’il me montra, et comme je lui faisais observer que le hasard pourrait amener cet architecte à Panama, il me répondit avec un singulier sourire qui n’appartenait qu’à lui, que cela n’était pas à redouter.

— Le digne contrebandier avait un peu égorgé l’architecte, dit Michel.

— Je l’ignore ; ce qui est certain, c’est que cet homme disparut tout à coup, sans que jamais plus on entendit parler de lui.

— Je l’aurais parié, dit l’incorrigible boucanier.

— Tais-toi, Michel ; que fîtes-vous, José, en recevant cette confidence ?

— Je conseillai au capitaine de choisir des Indiens Mansos étrangers à la ville et de leur faire construire la maison sous sa direction ; l’idée sourit à don Gutierrez et il me chargea du soin d’engager les Indiens ; je m’acquittai de cette mission de mon mieux ; quinze jours plus tard, j’étais de retour à Panama avec une vingtaine d’Indiens d’un village ou plutôt d’une tribu éloignée, que j’avais embauchés. Pendant mon absence, le capitaine n’avait pas perdu son temps, il avait choisi et acheté le terrain et rassemblé tous les