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Le Forestier

sens à la recherche des deux anges qu’il avait si déplorablement perdus, le duc, brisé par la douleur, résigna toutes ses charges entre les mains du comte-duc d’Olivarès, plus puissant et plus heureux que jamais ; et il se retira dans le château de Tormenar, qu’il avait fait reconstruire à la place même qu’il occupait primitivement, résolu à y terminer ses jours, loin de ce monde par lequel il avait tant souffert.

Mais un ami dévoué lui était demeuré fidèle dans l’adversité ; cet ami était le père Sanchez, qui avait tout quitté pour venir partager sa solitude, et non pas le consoler, il y a certaines douleurs qui demeurent toujours vives et saignantes au cœur ; mais pour l’aider à supporter bravement les coups redoublés qui le frappaient, et le soutenir dans sa voie douloureuse.

Gaston-Philippe, sur la tête duquel le roi son père semblait avoir reporté tout l’amour qu’il avait éprouvé pour sa mère, avait par les soins du roi reçu la plus brillante éducation.

C’était, à l’époque à laquelle nous sommes arrivés, un beau et fier jeune homme de seize à dix-sept ans, doué de toute la ravissante beauté que possédait sa mère à ce même âge, mais avec une expression plus mâle et surtout plus accentuée.

Par l’ordre exprès du roi qui paraissait craindre de s’en séparer, il avait continué à résider à la cour et à habiter le palais de son grand-père ; il portait le titre de comte de Transtamarre et il était depuis le jour de sa naissance, ainsi que nous l’avons dit, almirante de Castille.

Bien que Gaston ne vit le duc de Biscaye, son grand-père, que très rarement, cependant il avait pour lui une profonde et sincère affection ; c’était un bonheur pour le jeune homme lorsqu’il pouvait obtenir du roi l’autorisation d’aller passer quelques jours à Tormenar.

C’était fête aussi au château ; le vieillard en revoyant son petit-fils semblait renaître à la vie, il se sentait presque joyeux ; c’était avec un plaisir infini qu’il écoutait les longs récits du jeune homme sur sa manière de vivre à Madrid, les événements qui se passaient à la cour et dont il était le témoin.

Cependant une inquiétude secrète dévorait le vieux duc.

Le roi, tout en paraissant aimer beaucoup Gaston-Philippe, en le comblant d’attentions et de faveurs, n’avait pas, selon la promesse solennellement faite, déclaré la légitimité du mariage contracté avec doña Cristiana et régularisé ainsi la position de son fils qu’il devait, à la suite de cette déclaration publique, nommer son héritier au trône.

Cette indifférence du roi, cet oubli inconcevable peinaient le vieillard,