pays ennemi, et que de plus nous avons affaire à si forte partie que la moindre négligence, le plus léger oubli, nous perdrait irrévocablement.
— Bien prêché, cher ami ; je dois convenir que tu as raison de tous points ; donc entendons-nous bien, afin de ne pas commettre de gaucheries dans l’exécution de nos rôles.
— J’écoute, mais j’ai bien peur.
— Tu as toujours peur, fit l’autre en riant.
— S’il ne s’agissait que de moi !
— C’est bon ; vas-tu recommencer ?
— Je me tais.
— Ce n’est pas malheureux ! Tu t’effraies d’une ombre ; rien n’est plus simple et plus facile que ce que nous voulons faire, cependant.
— Hum ! hum !
— Encore ?
— Non, non ; je suis enroué, voilà tout. J’écoute.
— Avant tout, établissons bien ceci, dit le boucanier, qui tout en causant procédait à sa toilette : c’est que nous sommes Basques tous les deux, ce qui veut dire que nous appartenons à une race qui, sous son apparence de naïve franchise et de bonhomie, cache l’intelligence la plus déliée et les instincts les plus rusés ; tu conviendras de cela avec moi, n’est-ce pas ?
— Parfaitement. Continuez, je ne perds pas un mot.
— Or, il ferait beau voir que ces drôles de gavachos nous prissent pour des imbéciles ! Souviens-toi bien de ceci, Michel, mon vieux camarade : je suis le comte Fernando Garci Lasso de Castel Moreno, cristiano viejo, dont la famille depuis un siècle est fixée au Mexique.
— Bon, je préfère cela.
— Pour quel motif ?
— Dame ! parce qu’à défaut d’autre titre, je pourrai vous donner celui de comte.
— Qu’importe cela, Michel !
— Cela me sera plus facile ainsi ; je ne craindrai pas de faire de sottises ; quette triomphante idée vous avez eue là, monseigneur !
— Tu recommences !
— Eh non, j’entre dans mon rôle, au contraire, n’êtes-vous pas grand d’Espagne de première classe, caballero cubierto, que sais-je encore ? allez, allez, il n’y a plus de risque que je me trompe.
— Fou ! reprit en souriant le boucanier, soit, puisque tu le veux ; mais n’oublie point ceci l’Adelantado de Campêche, mon très proche parent,