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La stérilité des montagnes forme un contraste frappant avec la fertilité des plaines.

Les vallées sont d’une richesse de végétation réellement extraordinaire, tandis que les montagnes ne présentent à l’œil qu’un chaos confus de roches brisées, dont les interstices sont remplis d’une matière argileuse qui arrête toute végétation.

Les eaux sont rares et d’assez mauvaise qualité, car les quelques sources qui descendent du mont Misère sont fortement imprégnées de particules salines, auxquelles les étrangers ne s’habituent que difficilement.

Mais, chose précieuse pour les flibustiers, Saint-Christophe possède deux ports magnifiques, bien abrités, faciles à défendre, et ses côtes sont dentelées d’anses profondes où en cas de danger leurs légers navires trouveraient aisément un refuge.

D’Esnambuc rencontra, en débarquant, quelques Français réfugiés qui vivaient en bonne intelligence avec les Caraïbes et qui non seulement le reçurent à bras ouverts, mais encore se joignirent à lui et le choisirent pour chef.

Par un hasard singulier, le même jour où les Dieppois abordaient à Saint-Christophe, des flibustiers anglais, commandés par le capitaine Warner, maltraités aussi dans un combat avec les Espagnols, venaient s’y réfugier sur un autre point.

Les corsaires des deux nations, qui ne pouvaient être séparés par aucune idée de conquête, d’agriculture ou de commerce, et qui poursuivaient le même but, combattre les Espagnols et se créer un refuge contre l’ennemi commun, s’entendirent facilement ; puis, après s’être partagé l’île, ils s’établirent les uns à côté des autres et vécurent dans une bonne harmonie que rien ne troubla pendant longtemps.

Une fois même ils réunirent leurs forces contre les Caraïbes qui, effrayés des progrès de leur nouvel établissement, essayèrent de les chasser.

Les flibustiers firent un carnage horrible des Indiens et les réduisirent à implorer leur clémence.

Quelques mois plus tard, Warner et d’Esnambuc reprirent la mer ; le premier se rendait à Londres, le second à Paris ; chacun d’eux allait solliciter la protection de son gouvernement pour la colonie naissante.

Comme toujours, ces hommes, qui d’abord n’avaient cherché qu’un refuge provisoire, éprouvaient maintenant le désir de voir se développer un établissement créé par eux et qui en peu de temps avait pris une importance réelle.

Le cardinal de Richelieu, toujours disposé à favoriser les projets tendant à augmenter au dehors la puissance de la France, accueillit le flibustier avec la plus grande distinction, entra dans ses vues et forma une compagnie nommée Compagnie des Îles, pour l’exploitation de la colonie.

Le fonds social était de quarante-cinq mille livres dont Richelieu pour sa part souscrivit personnellement une somme de dix mille.

D’Esnambuc fut investi du commandement suprême.

Parmi les clauses stipulées dans sa commission il en est une que nous devons rapporter à cause de son étrangeté, qui constitue pour les blancs en Amérique un esclavage temporaire plus dur encore que celui imposé aux noirs.