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Cromwell, après le sac de Drogheda, lit vendre plus de trente mille Irlandais pour la Jamaïque et la Barbade.

Près de deux mille de ces malheureux réussirent à se sauver à la fois sur un navire que dans leur ignorance de la navigation ils laissèrent aller à la dérive et que le courant drossa jusqu’à Saint-Domingue ; les pauvres diables, ne sachant où ils se trouvaient, étant sans vivres et sans ressources, moururent tous de faim. Leurs os amoncelés et blanchis par le temps demeurèrent plusieurs années sur le cap Tiburon, dans un endroit qui fut appelé à cause de cette horrible catastrophe l’anse aux Ibernois, nom qu’il porte encore.

Le lecteur me pardonnera d’être entré dans d’aussi grands détails sur l’établissement des flibustiers à l’île Saint-Christophe ; mais comme c’est sur ce coin de terre que la terrible association de ces aventuriers prit naissance et que nous entreprenons aujourd’hui de raconter leur histoire, il nous fallait mettre le lecteur bien au courant de ces faits afin de ne pas être obligé d’y revenir plus tard. Maintenant nous reprendrons notre récit auquel les chapitres qui précèdent servent pour ainsi dire de prologue, et, franchissant d’un bond l’espace compris entre l’île Sainte-Marguerite et l’archipel des Antilles, nous nous transporterons à Saint-Christophe quelques mois après l’évasion, car nous n’osons dire la mise en liberté du comte Ludovic de Barmont-Senectaire.


XIII

LE CONSEIL DES FLIBUSTIERS

Plusieurs années s’écoulèrent sans apporter de changements notables dans la colonie.

Les flibustiers continuaient toujours, avec le même acharnement, leurs courses contre les Espagnols ; mais comme leurs expéditions étaient isolées, qu’ils n’avaient entre eux aucune espèce d’organisation, les pertes éprouvées par les Espagnols, bien que fort grandes, étaient cependant beaucoup moins considérables qu’on l’avait pu supposer.

Sur ces entrefaites, un lougre monté par une quarantaine d’hommes résolus et armé de quatre canons de fer vint mouiller à Saint-Christophe, en arborant fièrement le drapeau français à son arrière.

Ce navire apportait aux colons un nouveau contingent de braves aventuriers.

À peine arrivés, ils débarquèrent, s’abouchèrent avec les habitants, et témoignèrent le désir de s’établir sur l’île.

Leur chef, auquel ses compagnons donnaient le nom de Montbars, et pour lequel ils semblaient éprouver un dévouement sans bornes, annonça aux colons que, comme eux, il professait une haine profonde pour les Espagnols, et qu’il