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plus que sa vie antérieure, non seulement ne les regardait pas, mais encore les intéressait fort peu.

L’aventurier ne demeurai terre que le temps strictement nécessaire pour établir son habitation dans de bonnes conditions ; puis, un jour, sans avoir prévenu personne, il se rembarqua sur son lougre avec l’équipage qui l’avait amené, ne laissant que cinq ou six hommes à Saint-Christophe pour surveiller sa plantation, mit à la voile et partit.

Un mois plus tard il était de retour traînant à la remorque un vaisseau espagnol richement chargé, ayant comme les premiers son équipage tout entier pendu à ses vergues.

Montbars continua ainsi pendant une année tout entière, ne demeurant jamais plus de deux ou trois jours à terre, puis partant et toujours revenant avec une prise, balançant à ses vergues tout son équipage pendu.

Les choses en vinrent à un tel point, l’audace du hardi corsaire fut couronnée d’un si grand succès que le bruit en parvint en France ; alors des aventuriers dieppois, comprenant tout le profit qu’ils pourraient tirer de cette guerre interlope, armèrent des navires et vinrent se joindre aux colons de Saint-Christophe dans le but d’organiser la course contre les Espagnols et de la faire plus en grand.

La flibusterie allait entrer dans sa deuxième phase et devenir une association régulière.

Montbars avait construit son hatto ou principale habitation à l’endroit où plus tard les Anglais élevèrent leur batterie de Sandy-Point.

Position fort bien choisie, militairement parlant, et où en cas d’attaque il était facile, non seulement de se défendre, mais encore de repousser l’ennemi après des pertes sérieuses.

Ce hatto, construit en troncs d’arbres et recouvert avec des feuilles de palmier, s’élevait presque à l’extrémité d’un cap d’où on dominait la plus grande partie de l’île et la mer à une distance considérable à droite et à gauche. On ne parvenait à ce cap taillé à pic du côté de la mer à une élévation de plus de quarante mètres, que par un sentier étroit et raboteux, coupé de distance en distance par de fortes palissades et des fossés larges et profonds qu’on était contraint de traverser sur des planches jetées négligemment en travers et faciles à enlever en cas d’alerte ; deux pièces de canon d’un calibre de quatre, placées en batterie au sommet du sentier, en défendaient les approches.

Le hatto était divisé en cinq chambres assez grandes, meublées avec un luxe et un confort, comme on dirait aujourd’hui, assez singuliers, dans une île perdue comme Saint-Christophe, mais que justifiait pleinement l’occupation habituelle du propriétaire, qui n’avait eu que la peine d’enlever sur ses prises les meubles qui lui avaient convenu.

Une longue perche servant de mât de pavillon, plantée devant la porte du hatto, faisait flotter dans l’air un drapeau blanc, avec un yack rouge à l’angle supérieur du côté de la drisse. Ce drapeau était celui des corsaires, que Montbars changeait quelquefois pour un tout noir, portant au centre une tête de mort et deux os en croix de couleur blanche, pavillon sinistre qui,