Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/118

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qui drossent nos navires et des vents contraires qui s’opposent à la rapidité de leur marche, nous font perdre un temps précieux. Or, l’archipel des Antilles se compose de plus de trente îles, au milieu desquelles il nous est facile, il me semble, de choisir celle qui nous conviendra le mieux. Cette idée, que j’émets aujourd’hui devant vous, depuis longtemps déjà je la mûris dans ma pensée ; je n’ai pas borné mes courses à poursuivre les Gavachos, je suis allé à la découverte, et j’ai trouvé, je le crois, la terre qui nous convient.

— De quelle terre parles-tu, frère ? demanda David, se faisant l’interprète de ses compagnons.

— Je parle de l’île que les Espagnols appellent Hispaniola et que nous autres nous nommons Santo Domingo ou Saint-Domingue.

— Mais, frère, dit alors Barthélemy, cette île, qui, j’en conviens, est immense et possède des forêts magnifiques, est habitée par les Espagnols ; ce serait, si nous y allions, nous mettre littéralement dans la gueule du loup.

— Je le croyais comme vous avant de m’être assuré de la réalité du fait, mais maintenant je suis certain du contraire ; non seulement l’île n’est qu’en partie occupée par les Gavachos maudits, mais encore, sur la partie qu’ils ont dédaignée, nous rencontrerons des auxiliaires.

— Des auxiliaires ! s’écrièrent avec étonnement les flibustiers.

— Oui, frères, et voici comment. Lors de la descente de l’amiral don Fernand de Tolède à Saint-Christophe, les Français qui parvinrent à échapper au massacre se sauvèrent, ainsi que vous le savez, sur les îles voisines ; beaucoup d’entre eux allèrent plus loin, ils atteignirent Saint-Domingue, où ils se réfugièrent ; c’était hardi, n’est-ce pas ? mais, je vous le répète, les Espagnols n’en occupent que la moitié à peu près. À l’époque de la découverte ils avaient laissé quelques bêtes à cornes sur l’île ; ces animaux ont peuplé, maintenant ils pullulent et les immenses savanes de Saint-Domingue sont couvertes d’innombrables troupeaux de taureaux sauvages qui paissent dans toute la partie inhabitée ; ces troupeaux, vous ne l’ignorez pas, sont une ressource certaine pour le ravitaillement de nos navires, et en sus le voisinage des colons espagnols nous offre le moyen d’assouvir notre haine contre eux ; du reste, ceux de nos compagnons qui depuis quelques années se sont établis sur cette terre leur font une guerre incessante et acharnée.

— Oui, oui, fit Belle-Tête d’un air rêveur, je comprends ce que tu nous dis, frère ; tu as raison jusqu’à un certain point, mais discutons paisiblement et de sang-froid comme des hommes sérieux.

— Parle, répondit Montbars ; chacun de nous, lorsqu’il s’agit de l’intérêt commun, a le droit d’émettre son avis.

— Si braves que nous soyons, et nous pouvons nous en vanter hardiment, car, grâce à Dieu, notre courage est connu, nous ne sommes pas cependant assez forts, quant à présent, pour nous mesurer sur la terre ferme avec la puissance espagnole ; autre chose est s’emparer d’un vaisseau par un coup de main et affronter la population tout entière ; tu le reconnais, frère, n’est-ce pas ?

— Certes, frère, je le reconnais.

— Bien, je continue. Il est évident que les Espagnols, qui jusqu’à présent