Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/146

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— Une expédition flibustière, composée de trois navires, deux brigantins et un lougre, va quitter Saint-Christophe, sous le commandement de Montbars, que je nomme, au nom de Sa Majesté le roi très chrétien Louis, quatorzième du nom, amiral de la flotte. Cette expédition, dont le but demeure secret, a réuni trois cent cinquante hommes, l’élite de la flibuste ; les trois capitaines désignés pour commander les navires sont Michel le Basque, Williams Drack et Jean David ; il leur est ordonné de se conformer en tout aux ordres qu’ils recevront de l’amiral ; chaque capitaine nommera lui-même les officiers de son équipage. Et, se tournant vers Montbars : Maintenant, amiral, ajouta-t-il, dictez la charte-partie.

L’aventurier s’inclina, et s’adressant à l’agent de la Compagnie qui attendait, la tête et la plume en l’air :

— Êtes-vous prêt, monsieur ? lui dit-il.

— J’attends vos ordres.

— Alors écrivez, car je dicte.

Jamais une expédition ne quittait le port sans avoir primitivement proclamé la charte-partie, où les droits de chacun étaient rigoureusement stipulés, et qui servait de loi suprême à ces hommes, qui, ingouvernables lorsqu’ils étaient à terre, se courbaient, sans murmurer, aux exigences les plus sévères de la discipline maritime ; aussitôt qu’ils avaient posé le pied sur le navire à bord duquel ils s’étaient engagés, le capitaine d’hier, devenu matelot aujourd’hui, acceptait, sans murmures, cette infériorité éventuelle, que la durée de la campagne seule maintenait, et qui se terminait, au retour, pour remettre chaque membre de l’expédition au même niveau, et sur le pied de la plus complète égalité.

Nous citons textuellement la singulière charte-partie qu’on va lire, parce que, par cet acte authentique de la façon dont les flibustiers traitaient entre eux, le lecteur comprendra plus facilement la portée et la force de cette étrange association.

Montbars dicta ce qui suit d’une voix calme et reposée, au milieu du silence religieux des assistants qui ne l’interrompaient, par intervalles, que par des cris d’approbation.

« Charte-partie décrétée par l’amiral Montbars, les capitaines Michel le Basque, Williams Drack, Jean David et les Frères de la Côte qui sont volontairement placés sous leurs ordres, et librement consentie par eux.

« L’amiral aura droit, en dehors de son lot, à un homme sur cent.

« Chaque capitaine touchera douze lots.

« Chaque frère quatre lots.

« Ces lots ne seront comptés que lorsque la part du roi aura été prélevée sur la totalité des lots.

« Les chirurgiens toucheront, outre leur lot, chacun deux cents gourdes, à titre de récompense pour leurs remèdes.

« Les charpentiers, outre leur lot, auront droit, pour rémunérer leur travail, chacun à cent gourdes.

« Toute désobéissance sera punie de mort, quel que soit le nom ou le grade de celui qui s’en rendra coupable.