Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

témoigné de me voir, si vous êtes bien fray Arsenio Mendoza, celui qui m’a fait, il y a quelques heures, parvenir une lettre.

— Je suis en effet celui qui vous a écrit, mon frère ; mon nom est bien fray Arsenio Mendoza.

— Alors, puisqu’il en est ainsi, parlez ; me voici prêt à vous entendre.

— Mon frère, répondit le moine, les choses que j’ai à vous communiquer sont de la plus haute importance, elles ne regardent que vous ; peut-être mieux vaudrait-il que vous fussiez seul à les entendre.

— Je ne sais quelles choses si importantes vous pouvez avoir à m’apprendre, mon père ; dans tous les cas, sachez que cet homme est mon engagé et que, comme tel, son devoir est d’être sourd et muet lorsque je le lui ordonne.

— Soit, je parlerai devant lui, puisque vous l’exigez ; mais, je vous le répète, mieux vaudrait que nous fussions seuls.

— Qu’il soit donc fait selon votre désir ; retire-toi hors de portée de la voix, sans cependant que je cesse de te voir, dit-il à son engagé.

Celui-ci s’éloigna d’une centaine de pas dans le sentier et s’appuya sur son fusil.

— Est-ce que vous redoutez quelque trahison de la part d’un pauvre moine comme moi ? dit le franciscain avec un sourire triste ; ce serait me supposer bien gratuitement des intentions fort éloignées de ma pensée.

— Je ne suppose rien, mon père ; seulement j’ai pour habitude, répondit le flibustier d’une voix rude, de toujours me tenir sur mes gardes lorsque, prêtre ou laïque, je me trouve en face d’un homme de votre nation.

— Oui, oui, fit-il d’une voix triste, vous professez une haine implacable contre mon malheureux pays, aussi vous nomme-t-on l’Exterminateur.

— Quels que soient les sentiments que je professe pour vos compatriotes et le nom qu’il leur a plu de me donner, ce n’est pas, je suppose, pour traiter avec moi cette question que vous êtes, au risque de ce qui pouvait vous arriver, venu jusqu’ici et que vous m’avez fait prier de vous y joindre.

— En effet, ce n’est pas pour ce motif, vous avez raison, mon fils, quoique peut-être j’aurais bien des choses à dire à ce sujet.

— Je vous ferai observer, mon père, que l’heure s’avance ; je ne puis disposer que de fort peu de temps, et si vous ne vous hâtez pas de vous expliquer, je serai, à mon grand regret, contraint de me retirer.

— Vous le regretteriez toute votre vie, mon frère, dût-elle être aussi longue que celle d’un patriarche.

— C’est possible, bien que j’en doute fort. Je ne puis recevoir que de mauvaises nouvelles de l’Espagne.

— Peut-être ; dans tous les cas, voici celles dont je suis porteur.

— Je vous écoute.

— Je suis, ainsi que vous le montre mon habit, un moine de l’ordre de San Francisco de Assis.

— Du moins vous en avez la tournure, fit l’aventurier avec un sourire ironique.

— En doutez-vous ?