Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/156

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pauvre homme sans défense, incapable de vous résister ; torturez-moi donc, si tel est votre bon plaisir, mais sachez : que je mourrai sans trahir mon serment.

Montbars fixa un regard étincelant sur le moine, si calme devant lui, puis au bout d’un instant, se frappant le front avec colère :

— Je suis foui s’écria-t-il, que m’importe ce nom, ne le sais-je pas déjà ? Écoutez, mon père, pardonnez-moi ce que je vous ai dit, la colère m’aveuglait : libre vous êtes venu dans cette île, libre vous en sortirez ; à mon tour, je vous le jure, et pas plus que vous je n’ai coutume de fausser les serments que je fais, quels qu’ils soient.

— Je le sais, mon frère, je n’ai pas à vous pardonner, je vois que la douleur vous a égaré et je vous plains, car Dieu m’a choisi pour vous imposer, j’en ai le pressentiment, une grande infortune.

— Oui, vous dites vrai ; cette femme, je ne la cherchais pas, j’essayais de l’oublier, c’est elle qui, de son plein gré, se remet sur ma route ; c’est bien, Dieu jugera entre elle et moi ; elle exige que j’aille la trouver, eh bien ! soit, j’irai ! mais qu’elle n’accuse qu’elle seule des conséquences terribles de notre entrevue. Cependant je consens à lui laisser encore une voie de salut : lorsque vous serez retourné près d’elle, engagez-la à ne pas tenter davantage de me voir. Vous voyez que j’ai encore pour elle au fond du cœur un reste de pitié malgré tout ce qu’elle m’a fait souffrir ; mais si malgré vos prières elle persiste à se rencontrer avec moi, alors que sa volonté soit faite : je me rendrai au rendez-vous qu’elle m’assignera.

— Ce rendez-vous, mon frère, je suis, dès aujourd’hui, chargé de vous l’indiquer.

— Ah ! fit le flibustier avec méfiance, elle n’a rien oublié ; et ce rendez-vous, quel est-il ?

— Cette dame, vous le comprenez, ne peut, quand même elle en aurait le désir, sortir de l’île.

— En effet, c’est donc à Hispaniola même que nous nous rencontrerons ?

— Oui, mon frère.

— Et quel lieu a-t-elle choisi ?

— La grande savane qui sépare le Mirebalais de San-Juan-de-Goava.

— Ah ! le lieu est parfaitement choisi pour une embuscade, dit en ricanant le flibustier ; car si je connais bien cet endroit, il se trouve sur le territoire espagnol.

— Il en forme l’extrême limite, mon frère ; cependant je puis essayer de faire choisir un autre endroit à cette dame, si vous craignez pour votre sûreté dans celui-là.

Montbars haussa les épaules avec un rire de mépris.

— Craindre, moi ! fit-il, allons donc, moine, vous êtes fou ! que m’importent les Espagnols ! fussent-ils cinq cents embusqués pour me surprendre, je saurai m’en débarrasser ; il est donc convenu que si cette dame persiste dans son intention d’avoir avec moi une explication, je me rendrai dans la savane qui s’étend entre le Mirebalais et San-Juan-de-Goava, au confluent de la grande rivière de l’Artibonite.