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Le jour où tu me demanderas ma vie, je te la donnerai, parce qu’elle est à toi, ainsi que celle de tous ceux qui m’aiment. Adieu.

Et il fit un mouvement pour sortir.

— Où vas-tu ? lui demanda Montbars.

— Je pars ; ne m’y as-tu pas autorisé ?

— Oui ; mais tu oublies quelque chose.

— Quoi donc ?

— Les armes promises. Prends au râtelier un fusil pour toi et quatre autres dont tu disposeras à ton gré, six sabres, six poignards et six haches ; lorsque tu quitteras le port, en passant près du lougre, tu demanderas de ma part deux barils de poudre et deux barils de balles à Michel le Basque ; il te les donnera. Maintenant, va, et bonne chance !

Le Caraïbe, dompté par cette générosité si simple et si pleine de grandeur, s’agenouilla devant l’aventurier et lui saisissant les pieds qu’il posa sur sa tête, il s’écria d’une voix profondément émue :

— Je te rends hommage comme au meilleur des hommes. Moi et les miens, nous serons désormais et toujours tes esclaves dévoués.

Il se releva, chargea sur ses épaules les armes que l’engagé lui remit et quitta le hatto.

Pendant quelques instants, on entendit son pas résonner dans le sentier ; mais ce bruit alla de plus en plus en s’affaiblissant, cessa bientôt et tout retomba dans le silence.

— À nous deux, l’Olonnais ! dit alors Montbars en s’adressant à son engagé.

Celui-ci se rapprocha.

— J’écoute, maître, dit-il.

— Je t’ai vu aujourd’hui pour la première fois, cependant tu m’as plu au premier coup d’œil, continua l’aventurier. J’ai la prétention d’être assez bon physionomiste : ta figure franche et ouverte, tes yeux qui regardent bien en face et l’expression d’audace et d’intelligence répandue sur tes traits m’ont disposé en ta faveur, voilà pourquoi je t’ai acheté ; j’espère ne pas m’être trompé sur ton compte, mais je veux faire sur toi une épreuve : tu sais que j’ai le droit de réduire ton engagement, de te donner même, si je veux, demain la liberté ; songe à cela et agis en conséquence.

— Engagé ou libre, je te serai toujours dévoué, Montbars, répondit l’Olonnais ; ne me parle donc pas de récompense, c’est inutile avec moi ; fais ton épreuve, j’en sortirai, je l’espère, à mon honneur.

— Voilà parler en homme et en franc aventurier ; écoute-moi donc et que pas un mot de ce que tu vas entendre ne sorte de tes lèvres.

— Je serai muet.

— Dans dix jours au plus je mouillerai au port Margot, à Saint-Domingue ; l’expédition que je commande a pour mission de surprendre l’île de la Tortue et de s’en emparer ; mais il ne faut pas que pendant que nous serons occupés d’un côté à surprendre les Espagnols, ceux-ci puissent nous attaquer par derrière et ruiner nos établissements de la Grande-Terre.