Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/172

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j’ai retrouvé aussi lourd et aussi silencieux, avec une dose d’importance de plus, à cause de sa haute position, sans doute, m’a dit que tu étais un peu malade et que les médecins t’avaient, ordonné l’air de la campagne.

— C’est vrai, fit-elle avec un sourire triste.

— Oui, mais je te croyais indisposée simplement et je te retrouve mourante.

— Ne parlons plus de cela, Sancho, je t’en supplie. Qu’importe que je sois malade ? As-tu reçu ma lettre ?

— Serais-je ici sans cela ? Deux heures après l’avoir reçue j’étais en route ; voilà trois jours, fit-il en souriant, que je cours par monts et par vaux, par des chemins épouvantables, afin d’être plus tôt près de toi.

— Merci, oh ! merci, Sancho, ta présence me rend bien heureuse, tu resteras quelque temps près de moi, n’est-ce pas ?

— Tant que tu voudras, chère sœur : ne suis-je pas libre ?

— Libre ! fit-elle, en le regardant d’un air étonné.

— Mon Dieu, oui, Son Excellence le duc de Peñaflor, mon illustre père et le tien, vice-roi de la Nouvelle-Espagne, a daigné m’accorder un congé illimité.

Au nom de son père, un léger frisson avait parcouru les membres de la jeune femme et ses yeux s’étaient voilés de larmes.

— Ah ! fit-elle, mon père est bien portant ?

— Il va mieux que jamais.

— Et, il t’a parlé de moi ?

Le jeune homme se mordit les lèvres.

— Il m’en a fort peu parlé, dit-il ; mais moi, en revanche, je lui en ai parlé beaucoup, ce qui a rétabli l’équilibre ; je crois même que c’est un peu pour se débarrasser de mon bavardage qu’il m’a octroyé le congé que je sollicitais.

Doña Clara baissa la tête sans répondre, son frère fixait sur elle un regard empreint d’une tendre pitié.

— Parlons de toi, veux-tu ? dit-il.

— Non, non, Sancho, mieux vaut parler de lui, répondit-elle avec hésitation.

— De lui, répondit-il d’une voix sourde en fronçant le sourcil ; hélas ! pauvre sœur, que pourrais-je te dire ? tous mes efforts ont été vains, je n’ai rien découvert.

— Oui, oui, murmura-t-elle, ses mesures ont été bien prises pour le faire disparaître. Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! s’écria-t-elle en joignant les mains avec égarement, n’aurez-vous donc pas pitié de moi !

— Calme-toi, je t’en supplie, ma sœur, je verrai, je chercherai, je redoublerai d’efforts et peut-être parviendrai-je enfin…

— Non, interrompit-elle, jamais, jamais nous ne pourrons rien, il est condamné, condamné par mon père ; cet homme implacable ne me le rendra jamais ! Oh ! je le connais mieux que toi, notre père. Tu es homme toi, Sancho, tu peux essayer de lutter contre lui, mais moi il m’a brisée, brisée d’un seul coup, il a broyé mon cœur dans une étreinte mortelle en faisant de moi l’innocente complice d’une infernale vengeance ! Puis il m’a froidement reproché un déshonneur qui est son ouvrage et a du même coup détruit à