Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/229

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— Eh bien ! c’est vrai, vous avez raison, cette diablesse de femme que j’ai achetée à Saint-Christophe, m’a tourné la cervelle, elle me fait marcher comme un braque.

— Ah ! l’amour ! fit ironiquement Michel le Basque.

— Que le diable emporte l’amour et la femme avec, une fillette pas plus grosse que ça, que je tuerais d’un coup de poing.

— Elle est fort jolie, vous avez eu bon goût ; c’est Louise qu’elle se nomme, je crois ?

— Louise, oui. C’est une mauvaise affaire que j’ai faite là.

— Bah ! fit Michel avec un sérieux parfait, eh bien ! mais, il y a un moyen d’arranger cela.

— Vous croyez ?

— Pardieu ! j’en suis sûr.

— Je voudrais bien le connaître, car je vous avoue qu’elle a complètement bouleversé mes idées ; cette diablesse de fille, avec sa voix d’oiseau et son sourire mutin, me fait tourner comme une girouette. Vrai Dieu ! je suis le plus malheureux des hommes. Voyons votre moyen, frère.

— Le voici, vendez-la-moi.

Belle-Tête pâlit subitement à cette offre à brûle-pourpoint, qui en effet arrangeait tout, mais que bien qu’il ne s’en doutât pas, Michel ne lui faisait qu’en plaisantant et simplement pour l’éprouver ; ses sourcils se froncèrent et ce fut d’une voix tremblante d’émotion et en frappant du poing sur la table qu’il répondit avec colère :

— Vive Dieu ! compagnon, le magnifique moyen que vous avez trouvé là ! mais du diable si je l’accepte ! Non, non, quelque chagrin que me donne cette diablesse, ne vous ai-je pas dit qu’elle m’a ensorcelé ; je l’aime ! sang et tonnerre ! comprenez-vous cela ?

— Pardieu ! si je le comprends ! Allons, rassurez-vous, je n’ai nullement l’intention de vous enlever votre Louise : que ferais-je d’une femme, moi ? D’ailleurs, ce que j’ai vu en fait d’amour chez les autres ne m’engage nullement à en essayer pour mon compte.

— À la bonne heure ! répondit Belle-Tête, rasséréné par cette franche déclaration, voilà qui est parler en homme ; et puis, vous avez raison, frère, bien que pour rien au monde je consente à me séparer de Louise. Si, avec l’expérience qu’elle m’a donnée, le marché était à refaire, le diable m’emporte si je la rachèterais !

— Ah ! fit Michel en haussant les épaules, on dit toujours ça et, le moment arrivé, on ne manque pas de recommencer la même sottise.

Belle-Tête réfléchit un instant, puis il frappa amicalement sur l’épaule de Michel en lui disant en riant :

— Eh bien ! ma foi, c’est vrai, frère, vous avez raison, je crois qu’en effet j’agirais ainsi que vous le dites.

— Je le sais bien, répondit Michel en haussant les épaules.

Pendant cet aparté entre les deux aventuriers, les dix minutes s’étaient écoulées.

— Frères, dit Montbars, nous allons procéder à l’examen des votes.