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Et il raconta de quelle façon le moine lui avait été confié, comment il lui avait servi de guide jusqu’à ce que, ayant rencontré des Blancs, le moine l’avait congédié pour se joindre à eux.

— Mais, ajouta-t-il, je ne sais pourquoi un secret pressentiment me semblait avertir de ne pas m’éloigner ; donc, au lieu de partir, je me blottis dans les broussailles et j’assistai, invisible, à la torture qu’ils lui firent subir, eux, s’obstinant à l’obliger à révéler un secret que lui ne voulait pas consentir à divulguer ; de guerre lasse et vaincus par sa constance, ils l’abandonnèrent, à demi mort ; alors je m’élançai de ma cachette et je volai à son secours. Voilà tout ce que je sais. Je suis un chef, je n’ai pas la langue fourchue, le mensonge n’a jamais souillé les lèvres d’O-mo-poua.

— Pardonnez-moi, chef, les paroles regrettables que, dans le premier moment, j’ai prononcées ; j’étais aveuglé par la colère et la douleur, dit don Sancho en lui tendant la main.

— Le Visage-Pâle est jeune, répondit en souriant le chef, sa langue marche plus vite que son cœur.

Il prit la main qui lui était si franchement tendue et la serra cordialement.

— Oh ! oh ! fit le mayordomo, en hochant la tête et se penchant à l’oreille de don Sancho, je me trompe fort ou il y a du don Stenio là-dessous.

— Cela n’est pas possible, fit don Sancho avec horreur.

— Vous ne connaissez pas votre beau-frère, Seigneurie, c’est une nature faible et toutes les natures faibles sont méchantes ; croyez-moi, je suis certain de ce que j’avance.

— Non, non, ce serait trop épouvantable.

— Mon Dieu ! dit alors doña Clara, nous ne pouvons demeurer ici plus longtemps ; cependant je ne voudrais pas abandonner ainsi ce pauvre homme.

— Emmenons-le avec nous, dit vivement don Sancho.

— Mais ses blessures lui permettront-elles de supporter les fatigues d’une longue course ?

— Nous sommes presque rendus, dit le mayordomo, et s’adressant au Caraïbe : Nous allons au campement des deux boucaniers qui depuis hier chassent dans la savane.

— Bien, fit le chef, je conduirai les Visages-Pâles par un chemin étroit, ils arriveront avant que le soleil atteigne le niveau de l’horizon.

Doña Clara remonta à cheval ainsi que son frère ; le moine fut placé avec précaution devant le mayordomo et la petite troupe se remit en marche, au pas, sous la conduite du chef caraïbe.

Le pauvre fray Arsenio ne donnait d’autre signe d’existence que de profonds soupirs qui par intervalles soulevaient sa poitrine et des gémissements étouffés arrachés par la douleur.

Après trois quarts d’heure de marche au plus, grâce au chemin que le Caraïbe leur avait fait suivre, ils atteignirent le boucan.

Il était solitaire, mais non abandonné, ainsi que le montraient les peaux de taureaux encore étendues sur le sol et retenues par des chevilles et la chair boucanée suspendue à des fourches.

Les aventuriers étaient à la chasse probablement.