Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/258

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êtes gouverneur était par moi et mes compagnons enlevée pour jamais au pouvoir de votre souverain ; l’île de la Tortue, Leogane, San Juan de Goava, jusqu’à votre hatto del Rincon, surpris à l’improviste, ont été conquis presque sans coup férir.

Le comte redressa la tête, une rougeur fébrile envahit son visage, il fit un pas en avant et d’une voix brisée par la rage :

— Vous mentez, misérable, s’écria-t-il ; si grande que soit votre audace, il est impossible que vous ayez réussi à vous emparer des points dont vous parlez.

Montbars haussa les épaules.

— Une insulte venant d’une bouche comme la vôtre est sans portée, dit-il, vous aurez bientôt la confirmation de ce que je vous annonce ; mais assez sur ce sujet ; j’ai voulu vous avoir en mon pouvoir afin de vous rendre témoin de ce que j’ai à dire à madame ; venez, ajouta-t-il en s’adressant à doña Clara, venez, madame, et pardonnez-moi si je n’ai voulu me trouver devant vous qu’en présence de celui que vous nommez votre mari.

Doña Clara se leva toute tremblante et se rendit en chancelant à l’appel du flibustier.

Il y eut un instant de silence. Montbars, la tête penchée sur la poitrine, semblait plongé dans d’amères pensées ; enfin, il releva la tête, passa sa main sur son front comme pour en chasser les derniers nuages qui obscurcissaient sa raison et s’adressant à doña Clara :

— Madame, lui dit-il d’une voix douce, vous avez désiré me voir pour me rappeler le souvenir d’un temps à jamais passé et me confier un secret ; ce secret je n’ai pas le droit de le connaître ; le comte de Barmont est mort, mort pour tous, pour vous surtout, qui n’avez pas eu honte de le renier et, lui appartenant par de légitimes liens et surtout celui plus légitime encore d’un amour puissant, vous êtes lâchement laissée entraîner à un autre ; ceci est un crime, madame, que nul pardon ne saurait effacer dans le présent comme dans le passé.

— Monsieur ! s’écria la malheureuse femme en tombant brisée sous cet anathème et en fondant en larmes, pitié au nom de mes remords et de mes souffrances.

— Que faites-vous, madame ! s’écria le comte, relevez-vous.

— Silence, dit Montbars d’une voix dure, laissez se courber cette coupable sous le poids de son repentir ; moins qu’un autre, vous qui avez été son bourreau, vous n’avez le droit de la protéger.

Don Sancho s’était précipité vers sa sœur et repoussant brusquement le comte, il l’avait relevée.

Montbars reprit :

— Je n’ajouterai qu’un mot, madame : le comte de Barmont avait un enfant ; le jour où cet enfant viendra réclamer près de moi le pardon de sa mère, ce pardon je l’accorderai… peut-être, ajouta-t-il d’une voix faible.

— Oh ! s’écria la jeune femme avec une énergie fébrile en s’emparant malgré lui de la main que le flibustier n’eut pas le courage de lui retirer, oh !