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encore été créés ; les bâtiments de guerre que le hasard de leur navigation amenait dans un endroit, seuls se chargeaient parfois de faire rendre justice à ceux de leurs nationaux dont les intérêts étaient lésés.

Après avoir mis pied à terre et donné l’ordre au patron de son canot de le venir reprendre au coucher du soleil, le capitaine, suivi seulement d’un matelot nommé Michel, auquel il était fort attaché et qui l’accompagnait partout, s’enfonça dans les rues tortueuses d’Algésiras, en examinant curieusement tout ce qui s’offrait à sa vue.

Ce Michel, dont nous aurons plusieurs fois à parler plus tard, était un grand gaillard de cinq pieds dix pouces au moins, à la figure intelligente, âgé d’une trentaine d’années et qui avait voué à son chef un dévouement à toute épreuve, depuis que celui-ci lui avait sauvé la vie au risque de périr lui-même en se jetant dans une embarcation par un temps horrible pour voler à son secours lorsque, quatre ans auparavant, il était tombé à la mer en allant dans la mâture parer une manœuvre qui s’était engagée.

Depuis ce jour, Michel n’avait plus quitté le comte, s’arrangeant de façon à toujours s’embarquer avec lui. Né aux environs de Pau, patrie de Henri IV, il était, comme ce roi, son compatriote, gai, railleur, sceptique même ; excellent matelot, d’une bravoure à toute épreuve et d’une vigueur peu commune, Michel offrait dans sa personne le type complet du Basque béarnais, race forte et dure, mais loyale et fidèle.

Un seul individu balançait, dans le cœur de Michel, l’amitié sans bornes qu’il professait pour son chef : cet être privilégié était un matelot breton, sombre et taciturne, qui formait avec lui une complète antithèse et que, à cause de sa lenteur, l’équipage avait gratifié du sobriquet caractéristique de Vent-en-Panne, nom que celui-ci avait accepté et auquel il s’était si bien habitué à répondre qu’il avait presque oublié celui qu’il portait auparavant.

Le service que le comte avait rendu à Michel, celui-ci l’avait rendu à Vent-en-Panne, aussi s’était-il attaché au Breton à cause de ce service même et, tout en le raillant et le taquinant du matin au soir, avait-il pour lui une sincère amitié.

Le Breton ne s’y trompait pas, et autant que le permettait sa nature concentrée et peu démonstrative, il en témoignait à chaque occasion sa reconnaissance au Basque en se laissant complètement diriger et gouverner par lui pour tous les actes de la vie, sans jamais essayer de se révolter contre les exigences, souvent exorbitantes, de son mentor.

Si nous nous sommes si longtemps appesanti sur le compte de ces deux hommes, c’est que, dans le cours de cet ouvrage, ils sont appelés à jouer un rôle important et que, pour l’intelligence des faits qui suivront, le lecteur a besoin de les connaître.

Le comte et son matelot continuaient à s’avancer en se promenant à travers les rues, l’un réfléchissant et s’épanouissant au soleil, l’autre demeurant par respect quelques pas en arrière et fumant désespérément dans une pipe dont le tuyau était si court que le foyer lui touchait presque les lèvres.

En allant ainsi tout droit devant eux, les promeneurs ne tardèrent pas à