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Mais son espoir fut déçu ; le duc, après avoir été reçu en audience particulière par le roi, avait fait ses équipages et était parti pour Barcelone.

La fatalité s’en mêlait ; le comte ne se rebuta pas : il monta à cheval, traversa l’Espagne et arriva à Barcelone.

La veille, le duc s’était embarqué pour Naples.

Cette poursuite prenait les proportions d’une odyssée ; on aurait dit que le duc se sentait suivi.

Cependant il n’en était rien ; il accomplissait une mission dont son souverain l’avait chargé.

Le comte s’informa.

Il apprit que le duc de Peñaflor était accompagné de sa fille et de ses deux fils.

Deux jours plus tard, M. de Barmont faisait voile pour Naples à bord d’un navire contrebandier.

Nous n’entrerons pas dans tous les détails de cette poursuite obstinée qui dura pendant plusieurs mois.

Nous nous bornerons à dire que le comte manqua le duc à Naples, comme il l’avait manqué à Madrid et à Barcelone, et qu’il traversa l’Italie tout entière et entra en France, toujours à la suite de cet insaisissable ennemi qui semblait fuir devant lui.

Mais sans que le comte le soupçonnât, pendant l’intervalle, les rôles avaient été sinon complètement changés du moins fort modifiés.

Voici comment.

Le duc avait un fort grand intérêt à savoir ce que ferait le comte. Bien qu’il fût certain que la guerre le contraindrait à quitter l’Espagne, cependant il connaissait trop bien le caractère résolu et déterminé du jeune homme pour supposer un instant qu’il accepterait l’affront qui lui était fait sans essayer d’en tirer une vengeance éclatante.

En conséquence, il avait laissé à Cadix un homme de confiance chargé, si le comte reparaissait, de surveiller ses démarches avec le plus grand soin et de l’avertir de ce qu’il ferait.

Cet homme s’était consciencieusement et fort adroitement acquitté de la mission difficile qui lui avait été confiée, et, pendant que le comte poursuivait le duc, lui poursuivait le comte, ne le perdant pas de vue, s’arrêtant où il s’arrêtait et repartant derrière lui aussitôt qu’il le voyait se mettre en route.

Lorsque enfin il se fut assuré que c’était bien à son maître que le comte en voulait, il le dépassa, rejoignit le duc, qu’il atteignit aux environs de Pignerol, et lui rapporta tout ce qu’il avait appris.

Le duc, bien que intérieurement effrayé de la persistance haineuse de son ennemi, feignit d’attacher fort peu d’importance à cette communication, et sourit de mépris en écoutant le rapport de son serviteur.

Mais, malgré cela, il ne négligea pas de prendre ses précautions, et comme la paix était sur le point d’être signée et qu’un plénipotentiaire espagnol se trouvait à Paris, il lui expédia ce même domestique à franc étrier avec une lettre pressante.