Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LES AVENTURIERS

I

L’AUBERGE DE LA COUR DE FRANCE

Bien que, de Chanceaux, où elle naît, jusqu’au Havre, où elle se jette dans la mer, la Seine ne compte que huit cents kilomètres au plus, cependant, malgré ce parcours, comparativement restreint, ce fleuve est un des plus importants du monde ; car il a vu, depuis César jusqu’à nos jours, se décider sur ses rives toutes les grandes questions sociales qui ont agité les temps modernes.

Les touristes, les peintres et les voyageurs qui vont bien loin chercher des sites, ne sauraient rencontrer rien de plus pittoresque et de plus capricieusement accidenté que les rives sinueuses de ce fleuve frangé en amont et en aval de villes commerçantes et de gracieux villages coquettement étagés à droite et à gauche sur les flancs de vallons verdoyants, ou disparaissant à demi au milieu des taillis épais de ses accores.

C’est dans un de ces villages, situé à quelques lieues à peine de Paris, que commence notre histoire, le 26 mars 1641.

Ce village, dont l’origine remonte aux premiers temps de la monarchie française, était alors à peu près ce qu’il est aujourd’hui : contrairement à tous les hameaux qui l’entourent, il est demeuré stationnaire ; on croirait à le voir que les siècles pour lui n’ont pas marché ; lorsque les hameaux voisins devenaient villages et finalement se transformaient en gros bourgs et même en villes, lui allait toujours s’amoindrissant, si bien que sa population atteint à peine aujourd’hui le chiffre de quatre cents habitants.

Et pourtant sa situation est des plus heureuses : traversé par une rivière et bordé par un fleuve, possédant un château historique et formant une station importante d’une de nos grandes lignes de chemin de fer, il semblait destiné à devenir un centre industriel, d’autant plus que ses habitants sont laborieux et intelligents.

Mais la fatalité est sur lui. Les grands propriétaires qui se sont succédé dans le pays, enrichis pour la plupart, un peu au hasard, dans les commotions politiques ou dans des spéculations hasardeuses, se sont tacitement donné le mot pour entraver par tous les moyens les aspirations industrielles de la population, et ont toujours égoïstement sacrifié l’intérêt public à leur bien-être particulier.

Ainsi ce château historique dont nous parlons est aujourd’hui tombé entre les mains d’un homme qui, sorti de rien et se sentant étouffer dans ses murailles, les laisse se lézarder et s’émietter sous l’effort du temps, et, pour économiser un jardinier, fait semer de l’avoine dans les allées majestueuses