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Au même instant l’inconnu fut brusquement saisi à l’improviste par plusieurs individus, et cela si prestement que non seulement il ne put tenter une défense inutile, mais encore il se trouva garrotté et bâillonné avant que d’être revenu de la surprise que lui avait causée cette attaque.

Ses silencieux agresseurs l’abandonnèrent ainsi, se roulant sur le sol avec des soubresauts convulsifs de rage impuissante, et disparurent dans la nuit, sans davantage s’occuper de lui.

Le major, après une seconde d’hésitation, s’était, lui aussi, décidé à quitter la place, et il avait repris à pas lents la direction du rivage. Arrivé à une certaine distance, selon la recommandation du patron Nicaud, il arma son pistolet et brûla l’amorce ; puis il continua à s’avancer à pas lents.

Le canot avait fait sans doute diligence pour venir à sa rencontre, car au moment même où le major atteignait le rivage, le canot s’engravait sur le sable.

Le gouverneur monta silencieusement à bord ; vingt minutes plus tard, il se trouvait de nouveau sur le pont du lougre où maître Nicaud le recevait respectueusement, son bonnet à la main.

L’embarcation fut hissée sur les pistolets, le lougre orienta ses voiles et reprit la bordée du large, poussé par une bonne brise.


X

LE LOUGRE « LA MOUETTE »

Le lougre est un bâtiment fin dans ses formes de l’arrière, renflé par l’avant, ayant trois mâts : celui de misaine, le grand mât et le mât de tapecu, assez incliné sur l’arrière et gréant des voiles à bourcet ; son beaupré est court ; il porte des huniers et parfois des perroquets volants.

Par ce que nous disons, il est facile de reconnaître que les lougres ont sur une plus grande échelle le même gréement que les chasse-marée.

Bien que le tirant d’eau de ces bâtiments soit assez fort sur l’arrière, cependant comme ils sont en général bons marcheurs et qu’ils se comportent bien à la mer, on les emploie beaucoup pour la contrebande, malgré l’inconvénient des voiles à bourcet, qui à chaque virement du navire obligent à amener les vergues pour les changer de bord.

La Mouette était un bâtiment de quatre-vingt-dix tonneaux, bien espalmé, coquettement emménagé et portant quatre petits canons de fer de huit à la livre, qui le faisaient bien plutôt ressembler à un corsaire qu’à un paisible caboteur.

Cependant, malgré un équipage assez nombreux et son apparence taquine, depuis un an environ que ce léger navire fréquentait la côte de Provence et les îles de Lérins, jamais, jusqu’à ce moment, il n’avait fait mal parler de lui ; le patron Nicaud passait pour un brave et honnête homme, bien qu’un peu bru-