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Marguerite, rien dans sa conduite n’avait prêté le moindre sujet à des suppositions fâcheuses pour son honneur.

Contraint par les événements à trahir ses devoirs et à s’éloigner pour toujours de sa patrie, qu’il savait ne plus revoir après cet audacieux coup de main, le major voulait ne rien laisser au hasard et tirer de sa mauvaise position le meilleur parti possible, et d’après les mesures prises par lui, il espérait être à l’abri de tout danger lorsque se découvrirait enfin sa trahison.

Mais, par un sentiment de justice fort louable, surtout de la part d’un pareil homme et dans de telles circonstances, le major voulut porter seul le poids de son infâme conduite, et ne pas attirer le soupçon de complicité sur les pauvres officiers que leur devoir obligeait à lui obéir dans ce qu’ils croyaient faire partie de leur service militaire.

Il écrivit donc au gouverneur d’Antibes une lettre fort détaillée dans laquelle il raconta sans rien omettre la trahison qu’il méditait, et qui serait exécutée lorsque le gouverneur lirait cette étrange missive ; il exposa les motifs qui l’obligeaient à agir ainsi qu’il le faisait, en assumant sur sa tête toute la responsabilité d’un pareil acte et en déchargeant complètement ses officiers et ses soldats non seulement de toute coopération, mais encore de toute connaissance même indirecte de son projet.

Ces devoirs, scrupuleusement accomplis, car il était impossible que le gouverneur se trompât à la franchise de ses aveux et les révoquât un instant en doute, le major plia la missive, la cacheta avec soin et la plaça sur la table en attendant le retour de son lieutenant.

Maintenant, ses vaisseaux étant brûlés, M. de boursière ne pouvait plus reculer, il fallait à tout risque pousser en avant et réussir ; cette certitude d’une perte assurée si son projet échouait, enleva ses derniers doutes et lui rendit toute la sérénité nécessaire pour agir avec le sang-froid exigé par la circonstance bizarre dans laquelle il se trouvait placé.

Le capitaine entra.

— Eh bien ? lui demanda le major.

— Je suis prêt à partir, monsieur le gouverneur ; mes soldats se trouvent déjà à bord du bateau pêcheur, dans dix minutes nous aurons quitté l’île.

— Voici la lettre que vous devez remettre en mains propres au gouverneur d’Antibes, monsieur ; souvenez-vous de mes instructions.

— Je m’y conformerai de tout point, monsieur.

— Alors, au revoir, et que Dieu vous garde ! dit le major en se levant.

L’officier salua et sortit.

Le major le suivit des yeux par la fenêtre entr’ouverte de sa chambre, il le vit quitter le fort, se diriger vers la plage, monter dans le bateau pêcheur ; l’embarcation déborda, hissa sa voile et finalement s’éloigna, doucement inclinée sous l’effort de la brise.

— Ouf ! fit le major en refermant la fenêtre avec un soupir de satisfaction ; et d’un ; à l’autre, maintenant.

Mais avant tout, le vieil officier s’enferma dans sa chambre, brûla certains papiers, en prit certains autres, mit quelques habits dans une légère valise,