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Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/105

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vait avec la dernière rigueur les malheureux trouvés détenteurs d’un écrit quelconque qu’elle avait jugé convenable de prohiber.

Il est vrai que ces rigueurs n’atteignaient que les petites gens et les indigènes ; les classes élevées se souciaient fort peu du saint-office qu’elles méprisaient ouvertement.

Nous nous résumerons en constatant que les possessions espagnoles fournissaient de cinq à six cent millions de piastres fortes tous les ans à la métropole, malgré les dilapidations et les exactions de toutes sortes faites par les vice-rois, les audienciers, les intendants et tous les employés du fisc. De là provenait l’acharnement de l’Espagne à fermer l’Amérique aux étrangers, et le désir de ceux-ci d’y pénétrer à tous risques.

De toutes les colonies espagnoles, l’île de Saint-Domingue, la première en date cependant, fut toujours la plus négligée et, par conséquent, la plus mal administrée.

Jusque vers la moitié du xviie siècle, cette île immense était demeurée en entier sous la domination des Espagnols qui en ignoraient encore le prix, par cette raison toute simple que leur attention était dirigée exclusivement sur leurs colonies de terre ferme, où les métaux précieux s’offraient si facilement à leur insatiable cupidité.

Bref, c’était une colonie sans valeur pour la mère patrie ; car, non seulement elle ne rapportait rien au gouvernement, mais encore lui coûtait, au contraire, chaque année, des sommes considérables, affectées au payement des employés, soldats, etc.

À l’époque où se passe notre histoire, la population de Saint-Domingue s’élevait à peine à quatorze mille habitants, Espagnols, créoles et mulâtres, sans compter les esclaves, dont le nombre, sans doute beaucoup plus considérable, n’était pas déterminé.

Il est juste d’ajouter douze ou quinze cents noirs fugitifs, ou marrons, qui s’étaient retranchés dans les montagnes, avec les derniers débris des Caraïbes. Ces premiers habitants de l’île affectaient l’indépendance et descendaient souvent dans les plaines pour ravager les plantations et mettre leurs propriétaires à contribution.

La capitale, Santo-Domingo, comptait environ cinq cents maisons, était fermée de murailles, et protégée par trois forts assez bien pourvus d’artillerie pour l’époque. Santiago était la seconde ville. Beaucoup de négociants et d’orfèvres s’y était fixés ; mais ses murailles tombaient en ruines, et ses fortifications étaient mauvaises. Les autres centres de population, à part une ou deux villes peut-être, n’étaient que des bourgades chétives, tout ouvertes et peuplées d’habitants misérables.

L’arrivée des Français dans l’île passa inaperçue des orgueilleux Castillans. D’ailleurs que pouvaient-ils avoir à redouter d’une colonie composée au plus de deux cent cinquante habitants sédentaires, et placée dans un canton éloigné des possessions espagnoles. Cette indifférence hautaine donna aux aventuriers le temps nécessaire pour se consolider au Port-de-Paix et surtout à la Tortue, de telle sorte que, lorsque les Espagnols, continuellement harcelé par leurs audacieux voisins, sortirent enfin de leur léthargie et songèrent à les chas-