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Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/117

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ma curiosité, j’interrogeai un digne bourgeois à figure placide qui par hasard se trouvait près de moi.

« — Il faut que vous soyez étranger, señor, me répondit-il, pour m’adresser une telle question.

« — Supposez que je le suis, lui dis-je, et faites-moi la grâce de m’instruire.

« — Je ne demande pas mieux, señor, vous nous voyez ainsi en liesse pour l’arrivée du nouveau gouverneur de l’île.

« Ainsi que vous, madame, dans le premier moment cette nouvelle m’intéressait fort peu ; cependant je feignis une grande joie, et comme provisoirement je n’avais rien de mieux à faire, je continuai la conversation, en demandant à mon digne bourgeois s’il savait le nom de ce nouveau gouverneur. Ce fut alors qu’il me répondit qu’il se nommait le marquis Sancho de Peñaflor. Ma surprise fut si grande en entendant ce nom, que je le fis répéter plusieurs fois à mon interlocuteur afin de me bien convaincre qu’il ne se trompait pas. Je lui demandai alors si le gouverneur était débarqué, ou bien si la foule était arrêtée là pour le saluer au passage. Le bourgeois me répondit, avec une inépuisable obligeance, que le gouverneur était débarqué depuis une heure déjà, qu’il se trouvait dans le palais occupé en ce moment à recevoir les félicitations des notables de la ville. Je savais tout ce que je voulais savoir, je saluai poliment le complaisant bourgeois et je m’éloignai, roulant certains projets dans ma tête.

En racontant d’une façon aussi prolixe des événements en apparence si peu importants, Birbomono se proposait évidemment un but ; ce but était sans doute, en excitant l’impatience de la señora, de diviser son attention, de changer le cours de ses pensées et d’arriver ainsi à la préparer à apprendre sans secousse une nouvelle assez importante.

Ce but, il l’avait complètement atteint : perdue dans tout ce verbiage, la señora, en proie à une surexcitation fébrile, l’écoutait avec une irritation visible, bien qu’elle s’efforçât de paraître calme, pour ne pas indisposer un homme dont elle connaissait le dévouement sans bornes à sa personne et appréciait le beau caractère. Nous avons oublié de dire que, tout en parlant, incommodé probablement par les rayons du soleil qui faisaient irruption par la fenêtre ouverte, Birbomono avait baissé le store de façon que les deux interlocuteurs se trouvaient dans une obscurité relative et que la vue de la campagne était complètement interceptée.

— Quels étaient ces projets que vous rouliez dans votre tête ? demanda la dame.

— Ai-je dit des projets, señora ? reprit-il. Alors je me suis trompé ; je n’en avais qu’un seul, celui de m’introduire dans le palais et de me présenter à Son Excellence le gouverneur.

— Oui, oui, fit-elle avec vivacité, et vous l’avez mis à exécution, n’est-ce pas, mon ami ?

— J’essayai du moins, señora ; mais ce n’était pas une entreprise facile, non pas que les soldats empêchassent d’entrer, au contraire les portes étaient ouvertes, et chacun était libre d’aller et de venir à sa guise ; mais la foule