— Tâche difficile que celle-là, mon frère. Hélas ! rien au monde ne peut consoler une mère de la perte de son enfant.
— Pauvre sœur.
— Et mon père ? demanda-t-elle avec crainte.
— Il vit, répondit-il, il vit entouré de l’estime générale et comblé d’honneurs.
— Oui, oui, fit-elle avec un soupir, il devait en être ainsi, Parle-t-il quelquefois de sa fille ?
— Jamais ton nom n’est sorti de ses lèvres ; il te croit morte.
— Tant mieux ! reprit-elle ; peut-être cette croyance le rendra-t-elle indulgent pour l’innocent qu’il persécute : une victime doit lui suffire.
— Tu ne connais pas notre père, ma pauvre chère Clara, si tu te berces de cette pensée. C’est un cœur d’airain, une âme implacable ; sa haine est aussi vive aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Le duc de Peñaflor ne pardonne pas ; il poursuit sa vengeance avec une ardeur et une obstination que les difficultés et les obstacles raffermissent au lieu de le décourager.
— Hélas ! je savais tout cela, et pourtant je n’osais croire que ce fût vrai. Où est-il ? en Espagne sans doute ?
— Non ; il est en même temps que moi arrivé en Amérique ; il se trouve en ce moment à Panama, mais je crois qu’il n’y restera pas.
— En Amérique ? reprit-elle ; et que vient-il faire ici ?
— Tenter une dernière fois d’atteindre cette vengeance que depuis si longtemps il poursuit, ma sœur.
— Mais que prétend-il donc faire ?
— Cela je te le dirai, sois tranquille, ou du moins je te révélerai tout ce que j’ai pu saisir du ténébreux complot qu’il a ourdi avec une effroyable adresse et qui, si Dieu ne consent à se mettre enfin contre lui, doit infailliblement réussir, tant ses mesures sont bien prises.
— Mon Dieu ! mon Dieu, murmura-t-elle en joignant les mains avec prière.
— À ton tour maintenant, ma sœur, parle, je t’écoute.
— Que te dirai-je, Sancho ! La vie d’une misérable créature telle que moi : n’a rien qui puisse intéresser ; repoussée par mon père, méprisée par l’homme que j’aimais, honnie par la société qui m’accusait sourdement de la mort de mon mari, privée de mon enfant qui était tout pour moi, sans regret du passé, sans espoir dans l’avenir, je me réfugiai dans la solitude ; un instant je fus lâche et je songeai à mourir, mais Dieu me vint en aide. J’avais une mission à remplir : retrouver mon enfant, obtenir le pardon de l’homme que j’avais seul aimé et qui comme les autres me croyait coupable ; je résolus de vivre. Un soir, je ne sais si tu te le rappelles, mon frère, tu t’absentas du palais, invité je crois par les magistrats de la haute cour à un banquet ; je demeurai seule, mes précautions étaient prises d’avance, je sortis du palais et je quittai Santo-Domingo résolue à n’y rentrer jamais ; un seul homme m’accompagnait dans ma fuite ; cet homme tu le connais, c’est Birbomono ; lui seul me demeura fidèle dans l’adversité, son dévouement ne s’est jamais démenti, son respect, pour moi est toujours le même ; aussi je n’ai plus