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Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/136

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— Je ne sais quand nous pourrons nous revoir, mon frère, et si grand que soit mon désir de vous entretenir, je ne puis assigner d’époque à une nouvelle entrevue.

— Comptez-vous donc mettre bientôt votre projet à exécution ?

— Ce soir même je quitterai le rancho pour me rendre au Port-de-Paix.

— Si tôt, ma sœur ?

— Je n’ai déjà tardé que trop longtemps, n’insistez donc pas, je vous prie, ce serait inutile.

— Puisqu’il en est ainsi, ma sœur, je me tais ; il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de réussir ; mais, hélas ! je ne l’espère pas.

— Je ne partage pas votre opinion ; adieu, mon frère.

— Adieu, ma sœur, répondit-il.

Ils s’embrassèrent et demeurèrent longtemps serrés dans les bras l’un de l’autre.

Doña Clara se dégagea enfin de cette douce étreinte.

— Du courage, dit-elle.

Ils sortirent ; le nègre Aristide tenait en bride le cheval du marquis et le promenait devant la maison.

Don Sancho lui fit un signe, embrassa une dernière fois sa sœur et se mit en selle.

— Adieu, lui dit-il d’une voix étouffée.

— Au revoir, répondit-elle.

Le marquis enfonça les éperons dans les flancs de son cheval et s’éloigna au galop. Doña Clara demeura immobile sur le seuil de la porte et le suivit des yeux aussi longtemps qu’elle put l’apercevoir ; lorsque enfin il eut disparu à un coude du sentier, elle fit le signe de la croix, poussa un soupir et rentra dans le rancho en murmurant à voix basse :

— Il m’a toujours aimée, lui ! bon frère.

Birbomono se tenait dans la première pièce, doña Clara s’approcha de lui.

— Mon ami, lui dit-elle d’une voix douce, je quitte le rancho.

Le mayordomo s’inclina sans répondre.

— Je compte partir aujourd’hui même ; dans une heure, si cela est possible.

— Dans une heure tout sera prêt, dit-il respectueusement.

Elle hésita, puis s’enhardissant elle reprit :

— C’est que, mon ami, je ne sais quand je reviendrai ici, mon voyage peut se prolonger plus longtemps que je ne le voudrais et j’aurais besoin d’emporter avec moi des bagages assez considérables.

— Pendant que la señora était avec son frère, j’ai tout préparé, répondit-il ; la señora partira aussitôt qu’elle le désirera.

— Tout préparé ! s’écria-t-elle avec surprise ; comment savez-vous donc ce que j’ai l’intention de faire, quand il y a une heure je l’ignorais moi-même ?

— Les murs ne sont que de simples cloisons en cañaverales, señora ; malgré moi et sans vouloir écouter, j’ai entendu presque tout ce qui s’est dit entre vous et Son Excellence le gouverneur.

Doña Clara sourit.