Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/146

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tout à coup, à leur grande surprise, s’offrit à leurs regards et dans laquelle ils s’enfoncèrent sans hésiter.

Chemin faisant, Philippe raconta à son oncle comment le hasard lui avait fait découvrir cette caverne et ce rancho, découverte qui, du premier coup, mettait les aventuriers au cœur de la place.

En débouchant de la caverne, les deux troupes se séparèrent.

La plus nombreuse, commandée par Montbars, M. d’Ogeron et d’autres, et guidée par Philippe, s’embusqua dans le rancho dont les portes et les fenêtres avaient été ouvertes : ce rancho se trouvait à l’entrée même du bourg. Les aventuriers demeurèrent immobiles et silencieux, attendant pour agir les premières volée du canon de la seconde troupe.

Celle-ci avait d’immenses difficultés à surmonter pour atteindre la plate-forme ; mais, grâce, au courage, à l’adresse, et surtout à l’audace des flibustiers, toutes ces difficultés furent surmontées en quelques heures, et, au moment précis où le soleil apparaissait à l’horizon, deux coups de canon chargés à mitraille éclatèrent sur la plate-forme et foudroyèrent le fort de la Roche. Au même instant, un cri terrible retentit, poussé par trois cents voix, et la première troupe, s’élançant comme un torrent qui rompt ses digues, commença l’attaque.

La garnison du fort de la Roche, mise en désarroi par cette attaque si subite et si vigoureuse, courut bravement aux armes. Mais les Espagnols, pris entre deux feux et dominés par les pièces que les aventuriers avaient démasquées, furent contraints de se rendre après une défense héroïque qui dura plusieurs heures. Le bourg était en flammes, les deux tiers de la garnison avaient succombé.

Les aventuriers avaient de nouveau conquis la Tortue, mais cette fois ils devaient la conserver.

Les Espagnols s’étaient rendus à discrétion. M. d’Ogeron, ne se souciant point de conserver un aussi grand nombre de prisonniers, car outre la garnison, il y avait aussi les habitants de l’île, fit embarquer tous les Espagnols sur des bâtiments pris dans le port et les expédia à Cuba qui n’est éloigné que de quinze lieues à peu près, et là on les laissa libres sans même leur demander de rançon ; il est vrai qu’on leur avait pris tout ce qu’ils possédaient, et que les malheureux étaient littéralement ruinés.

M. d’Ogeron nomma David commandant de l’île de la Tortue dont les fortifications furent rétablies sur un pied formidable ; puis après avoir laissé au fort de la Roche une garnison composée de trois cents aventuriers choisis, le gouverneur retourna à Saint-Domingue avec les principaux chefs de l’expédition.

Martial, de peur de laisser deviner ses intelligences avec les Espagnols, avait si bravement combattu aux côtés de Montbars que le célèbre aventurier s’était cru obligé de lui adresser publiquement des éloges qui avaient rempli le jeune homme de honte et de confusion, tant il s’en savait indigne.

Mais les Frères de la Côte, se méprenant sur la rougeur qui colorait son front, l’avaient attribuée à sa modestie et ils l’avaient chaudement félicité.

— Eh bien ! demanda d’un air narquois Philippe au chevalier de Gram-