— Maintenant, dit le jeune homme, tout en mettant les morceaux doubles, tu vas me faire le plaisir de m’expliquer comment il se fait que je te trouve ici, hein ?
— Oh ! c’est bien facile : je vous cherchais.
— Comment, tu me cherchais ?
— Dame ! le capitaine Pierre Legrand m’a dit ce matin : « Il faut absolument que je voie mon matelot ce soir au Saumon couronné ; je ne sais pas où diable il est fourré. Cherche-le, Pitrians, et surtout ne reviens pas sans lui. » Alors, je me suis mis en chasse, voilà tout,
— Tu t’es mis en chasse, c’est fort bien ; mais comment se fait-il que tu aies pris plutôt cette direction qu’une autre ?
Pitrians se mit à rire.
— Pardieu ! dit-il, rien de plus simple : j’ai fait sentir un de vos habits à Miraud que voilà, en lui disant : « Cherche, Miraud, cherche ! » La bonne bête a tourné et retourné pendant quelques minutes, puis elle a pris votre piste et m’a conduit ; comprenez-vous maintenant ?
— À peu près, répondit le jeune homme en jetant un regard soupçonneux à l’engagé ; ah çà ! mais, c’est donc bien sérieux, ce que mon matelot veut me dire ?
— Il paraît.
— Tu ne sais rien ?
— Ma foi non, pas la moindre chose ; seulement il vous attend sans faute au Saumon couronné.
— J’y serai.
— Et moi, vous en êtes-vous occupé, monsieur Philippe ?
— Oui, j’ai fait ton affaire.
— Bien vrai ?
— Foi de gentilhomme ! Tu es à moi maintenant ; je t’ai acheté à Pierre pour quatre venteurs et un baril de poudre.
— Ce n’est pas trop cher.
— Il tenait à toi en diable.
— Je le crois bien ; il aura de la peine à en trouver un autre comme moi.
— Ainsi, voilà qui est fait ; tu peux être tranquille.
— Merci, vous de même ; je suis à vous à pendre et à dépendre pour deux ans, puis je serai libre.
— C’est convenu.
— Alors, vive la joie ! Je ne donnerais pas ma position présente pour cent louis à l’effigie du roi de France ; à propos, j’ai apporté votre fusil, votre corne à poudre et votre sac à balles.
— Bah ! à quoi bon ?
— On ne sait pas, maître ; un malheur est bien vite arrivé, et, à mon avis, rien n’est plus bête que de se faire tuer de but en blanc, sans savoir pourquoi.
— Au fait, tu as raison.
Et tout en parlant, il prit le fusil, le chargea et le plaça auprès de lui.
La halte des aventuriers avait été longue ; la chaleur était si étouffante qu’ils avaient préféré laisser tomber la plus grande ardeur du soleil avant de