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Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/62

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À ces paroles nettement et fièrement articulées, un frémissement de terreur courut dans toute la salle.

Le chevalier de Grammont[1], doué, d’une force herculéenne et d’une adresse sans égale dans le maniement des armes, était redouté de tous ces hommes qui cependant se vantaient avec raison de ne rien craindre, mais qui en maintes occasions lui avaient vu donner des preuves d’une vigueur surhumaine et d’un courage féroce.

— Eh bien ! mon ami, reprit lentement le chevalier en ôtant son chapeau et le posant sur une table, puisque je vous ai dit mon nom et mon titre, il ne me reste plus qu’à vous apprendre ce dont je suis capable, et cela, vous le saurez bientôt, vive. Dieu !

Martial se leva pâle et calme.

— Prenez garde, lui dit-il, vous n’avez aucun motif pour me chercher querelle, nous sommes inconnus l’un et l’autre, vous m’avez insulté sans raison ; je veux bien l’oublier, il en est temps encore, retirez-vous, car je jure Dieu que ma patience est à bout et que si votre main se lève pour me toucher, je vous brise, comme je brise ce verre. Et il fit voler en éclats le verre qu’il tenait à la main.

Les aventuriers éclatèrent d’un rire homérique.

— Bravo ! dit le capitaine d’un air railleur, fort bien prêché, sur mon âme, mais cela m’ennuie, allons, videz la place !

Il s’élança brusquement sur le jeune homme.

Celui-ci surveillait tous les mouvements du chevalier ; il bondit de côté, un éclair passa dans son regard, et se ruant comme un tigre sur son adversaire, il le saisit à la nuque et à la ceinture, le balança un instant au-dessus de sa tête, malgré ses efforts désespérés pour se dégager, et le lança dans la rue, où il alla tomber comme une masse.

Après avoir donné aux aventuriers, stupéfaits cette preuve de vigueur prodigieuse, le jeune homme s’appuya nonchalamment contre une table et croisa les bras sur sa poitrine.

Mais presque aussitôt le chevalier s’était relevé et s’était précipité, l’épée à la main, dans la salle en poussant des rugissements de fureur.

Il était livide ; une écume sanglante marbrait le coin de ses lèvres crispées par la colère.

— Sa vie ! il me faut sa vie ! s’écriait-il.

— Je suis sans armes ; voulez-vous donc m’assassiner ? répondit railleusement Martial sans faire un mouvement pour éviter le coup dont il était menacé.

Le capitaine s’arrêta.

— C’est vrai, murmura-t-il d’une voix étranglée. Cependant il faut qu’il meure ! Qu’on lui donne une épée, un poignard, n’importe quoi.

— Je ne veux pas me battre en ce moment, dit-il froidement.

— Oh ! il a peur, le lâche ! s’écria le chevalier.

  1. Il se nommait réellement ainsi, et appartenait à cette ancienne famille.
    G. Aimard