rellement brave et hautain, avait-il senti son sang s’allumer à l’insulte brutale qu’il avait reçue si à l’improviste, et s’était-il malgré lui laissé emporter à sa juste indignation ; peut-être aussi, feignant une colère beaucoup plus grande que celle qu’en réalité il éprouvait, avait-il saisi avec empressement l’occasion qui lui était si favorablement offerte par le hasard pour se poser du premier coup parmi les aventuriers, si fins connaisseurs en cette matière, en homme résolu que rien n’était capable d’intimider, et de plus, chose à considérer, avec de tels compagnons, doué d’une vigueur musculaire peu commune.
Si telle était en effet son intention, le succès dépassa son espérance ; les aventuriers qui, d’abord, avaient souri de pitié en le voyant accepter la lutte que lui offrait un de leurs plus redoutables champions, avaient complètement modifié leurs appréciations depuis qu’ils l’avaient vu à l’œuvre ; ils ne le considéraient plus qu’avec une curiosité toute sympathique et empreinte même d’un certain respect.
Aucun des aventuriers n’avait été dupe de la façon dont il avait reçu sa blessure ; cette gracieuse condescendance de sa part lui avait aussitôt concilié la bienveillance générale.
Sans paraître remarquer l’empressement dont il était l’objet, le jeune homme se tenait respectueusement devant Montbars, prêt à répondre aux questions qu’il plairait à celui-ci de lui adresser.
Le célèbre flibustier[1] était un homme de haute taille. À l’époque où se passe ce récit, il avait depuis longtemps déjà laissé bien loin derrière lui la cinquantaine ; il portait sur ses traits mâles, qui avaient dû être fort beaux dans sa jeunesse, les ineffaçables traces des longues luttes que, sans doute, il avait eu à soutenir dans le cours de sa vie aventureuse. Son visage, livide, comme celui d’un cadavre, avait une expression de cruauté froide et d’implacable résolution qui inspiraient la crainte et le respect. De ses yeux noirs s’échappait une flamme sinistre dont il était impossible de soutenir l’éclat ; ses manières aisées et élégantes étaient celles d’un gentilhomme de bonne race.
Son costume simple et sans broderies, d’une propreté remarquable, se rapprochait beaucoup de celui des matelots qui l’entouraient. Il avait au cou un sifflet en or, suspendu par une chaîne de même métal, seule chose qui, avec son épée à garde d’acier bruni, le distinguât de ses compagnons.
Après avoir pendant quelques instants examiné le jeune homme avec une attention qui ne laissait pas de causer une certaine inquiétude à celui-ci :
— Allons, lui dit-il doucement, j’espère que nous ferons quelque chose de vous, mon jeune gars.
— Mon plus vif désir est de naviguer sous vos ordres, monsieur, répondit Martial.
— Vent-en-Panne m’a assuré que vous êtes bon marin.
— J’ai quinze ans de navigation, monsieur.
— Hum ! Quinze ans ! quel âge avez-vous donc, mon maître ? Vous me semblez bien jeune pour un loup de mer.
- ↑ Voir Les Aventuriers.