— Je n’attaquerai ni ne calomnierai, madame, répondit-il en s’inclinant respectueusement devant la jeune femme, ce sont des armes de lâche, et j’ignore comment on s’en sert ; je serai vrai et ne parlerai que de moi.
— Soyez bref, monsieur, le lieu où nous sommes est mal choisi pour une longue discussion, dit Philippe.
— Nous sommes en sûreté, n’avez-vous pas placé votre ex-engagé Pitrians en vedette ? il ne nous laissera pas surprendre : d’ailleurs, je n’ai que quelques paroles à vous dire.
Le jeune homme bouillait littéralement d’impatience ; cependant il se contint ; il comprenait quelles conséquences terribles pourrait avoir un éclat, non pour lui, peu lui importait personnellement, mais pour doña Juana qu’il aimait et qui, émue et tremblante, assistait à cet étrange entretien.
— Monsieur, reprit le chevalier de Grammont avec cette exquise politesse qui le caractérisait et qu’il savait si bien employer, lorsqu’il lui plaisait de se souvenir de quelle race de preux il descendait, laissez-moi convenir tout d’abord avec vous qu’il y a dans tout ce qui nous arrive une étrange fatalité.
— Je ne vous comprends pas, monsieur : que pouvons-nous avoir de commun l’un avec l’autre ?
— Je m’explique. Vous aimez madame ; tout me porte à croire, d’après ce que j’ai entendu, que cet amour est partagé.
— Oui, monsieur, répondit vivement doña Juana avec cette bravoure que possèdent à un si haut point les femmes dans les situations extrêmes ; oui, monsieur, nous nous aimons ; nous sommes fiancés même, et jamais, je vous le jure, ma main n’appartiendra à un autre que don Philippe.
— Chère Juana ! dit le jeune homme en lui baisant ardemment la main.
— Eh bien ! reprit froidement le chevalier sans paraître autrement étonné de cet aveu, voilà justement où est la fatalité dont je vous parlais tout à l’heure : car moi aussi j’aime madame.
— Vous ! s’écrièrent-ils avec une surprise mêlée d’épouvante.
— Hélas ! oui, répondit-il avec un respectueux salut adressé à la jeune fille.
Philippe fit un pas vers le chevalier ; celui-ci l’arrêta d’un geste.
— Vous êtes belle, madame ; moi je suis homme : votre beauté m’a séduit, et je me suis, malgré moi, laissé entraîner à la passion qui, à votre vue, avait envahi tout mon être. Avez-vous, pour cela, le droit de m’adresser un reproche ? Non, madame, l’amour et la haine sont deux sentiments indépendants de la volonté qui, malgré lui, s’emparent du cœur de l’homme et y règnent en maîtres ; on ne peut les discuter, on est contraint de les subir. Le premier jour que je vous vis, je vous aimai ; votre regard, en tombant sur moi par hasard, me rendit votre esclave. Vous voyez que je suis franc, madame. Vainement j’essayai de parvenir jusqu’à vous et de vous avouer cet amour qui brûlait mon cœur, toutes mes tentatives furent inutiles : instinctivement vous me fuyiez, vous aviez deviné mes sentiments sans doute, et comme vous ne m’aimiez pas, vous me haïssiez.
— Mais, monsieur ! s’écria Philippe avec violence.