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LES CHASSEURS D’ABEILLES

La nuit était profonde, les étoiles continuaient à déverser sur la terre leur obscure et problématique clarté, rien ne présageait le lever du jour.

Il était à peine deux heures du matin ; le hibou est le premier oiseau dont le cri salue à son apparition le soleil, mais le hibou n’annonce pas le jour trois heures d’avance. Malgré la perfection du cri qu’il avait entendu, le Mexicain doutait ; bientôt un second houhoulement, presque aussitôt suivi d’un troisième, dissipa les doutes de don Fernando ; il se leva, et à trois remises différentes il imita à son tour le cri de l’épervier d’eau.

Le même cri partit au bout de quelques secondes de la rive opposée du fleuve.

Don Fernando remit la bride à son cheval, s’enveloppa dans son zarapé, et après s’être assuré que ses armes étaient en bon état, il s’élança en selle sans toucher l’étrier et entra dans le fleuve.

Devant lui, à peu de distance, s’étendait une île couverte de peupliers et de cotonniers ; ce fut vers cette île qu’il se dirigea ; le trajet ne fut pas long ; il dura à peine quelques minutes.

Les abords de l’île étaient faciles ; le cheval, entièrement reposé par les deux heures de répit que son maître lui avait données, nagea vigoureusement et gravit le talus presque en droite ligne avec son point de départ.

À peine le Mexicain abordait-il dans l’île, qu’un cavalier émergea du couvert et, s’arrêtant à une distance de vingt pas environ de lui, cria d’une voix haute, avec un accent vif de mécontentement :

— Tu as bien tardé à répondre à mon signal ! j’allais partir.

— Peut-être eût-il mieux valu qu’il en fut ainsi, riposta aigrement don Fernando.

— Ah ! ah ! fit l’autre d’un air moqueur, est-ce de ce côté que souffle le vent ?

— Peu importe d’où il souffle, si je ne suis pas l’impulsion qu’il me donne. Me voici, que me voulez-vous ? Soyez bref surtout, car je n’ai que peu de temps à vous donner.

— Vive Dios ! de bien grands intérêts vous appellent donc là d’où vous venez, que vous êtes si pressé d’y retourner ?

— Écoutez, Chat-Tigre, répondit nettement et sèchement le Mexicain, si vous ne m’avez appelé ici avec tant de persistance que pour me narguer et me persifler, il est inutile que je demeure davantage avec vous : ainsi, adieu !

En disant cela, don Fernando fit un mouvement comme s’il eût voulu rétrograder et quitter l’île.

Le Chat-Tigre, car son interlocuteur n’était autre que cet homme étrange, saisit vivement un pistolet et l’arma.

— Rayo de Dios ! dit-il ; si tu bouges, je te brûle la cervelle.

— Allons donc ! dit l’autre en ricanant, et moi, que ferai-je pendant ce temps-là ? Trêve de menaces, ou je vous tue comme un chien.

Par un geste aussi prompt que celui du Chat-Tigre, il avait armé un pistolet et en avait dirigé le canon du côté de son adversaire.

Le Chat-Tigre repassa en riant son arme à sa ceinture.

— Oserais-tu donc le faire ? dit-il.