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LES CHASSEURS D’ABEILLES

se mirent à la recherche de l’homme dont les cris de détresse les avaient fait accourir à son secours.

Ils ne tardèrent pas à le découvrir, étendu sans connaissance sur la plateforme, entouré de dix ou douze chats-tigres morts, et tenant entre ses doigts raidis le cou d’un pajero étranglé.

— Eh bien ! Carlocho, dit une voix, l’a-t-on trouvé ?

— Oui, répondit celui-ci, mais il paraît mort.

— Caraï ! ce serait dommage, reprit Pablito, car c’est un lier homme : où est-il ?

— Là, sur ce rocher, en face de vous.

— Pouvez-vous le descendre avec l’aide du Verado ?

— Rien n’est aussi facile, il ne remue pas plus qu’une souche.

— Hâtez-vous, au nom du ciel ! dit Pablito, chaque minute de retard pour lui est peut-être une année de vie qui s’envole.

Carlocho et le Verado soulevèrent don Torribio par les pieds et par la tête, et, avec des précautions infinies, le transportèrent de la forteresse improvisée où il avait si opiniâtrement combattu, auprès de l’un des feux, sur un lit de feuilles préparé par el Zapote, car la cuadrilla des vaqueros se trouvait, par un hasard étrange, réunie en cet endroit.

— Canarios ! s’écria Pablito à l’aspect misérable du jeune homme, le pauvre diable ! comme ils l’ont arrangé ! il était grandement temps de le secourir.

— Croyez-vous qu’il en réchappe ? demanda Carlocho avec intérêt.

— Il y a toujours espoir, dit sentencieusement Pablito, quand les organes de la vie ne sont pas attaqués : voyons-le donc.

Il se pencha sur le corps de don Torribio, dégaina son poignard, lui mit la lame devant les lèvres.

— Pas le moindre souffle ! fit Pablito en hochant la tête.

— Ses blessures sont-elles sérieuses ? demanda le Verado.

— Je ne le crois pas ; il a été accablé de lassitude et d’émotion.

— Mais alors, il en reviendra ? fit Carlocho.

— Peut-être oui, peut-être non ; tout dépend de la force plus ou moins grande du coup qui a frappé son système nerveux.

— Eh ! s’écria joyeusement le Verado, voyez donc, il respire, vive Dios ! il a même essayé d’ouvrir les yeux.

— Alors il est sauvé, reprit Pablito, il ne tardera pas à revenir à lui ; cet homme est doué d’une organisation de fer ; dans un quart d’heure, si bon lui semble, il pourra se remettre en selle, mais il faut le panser.

Les vaqueros, de même que tous les coureurs des bois, vivant loin des établissements, sont obligés de se soigner eux-mêmes : ils acquièrent ainsi une certaine connaissance pratique de la médecine pour cueillir et employer les simples en usage parmi les Indiens.

Pablito, aidé de Carlocho et du Verado, lava les plaies de don Torribio avec de l’eau et du rhum, mouilla ses tempes et lui introduisit de la fumée de tabac dans les narines.

Le jeune homme, après quelques minutes de cet étrange traitement,