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LES CHASSEURS D'ABEILLES

Don José fit signe aux officiers de se rasseoir et donna l’ordre d’introduire l’éclaireur.

C’était Tonillo el Zapote, l’ami de Pablito ; parti quatre heures plus tard de l’endroit où ils étaient embusqués pour surveiller les mouvements des Indiens, il était arrivé une heure à peine après lui au presidio, preuve de la gravité des nouvelles qu’il apportait.

Il avait toujours son air railleur et narquois ; son visage pâle et taché de sang et de poudre, ses habits déchirés en plusieurs endroits, le bandeau qui enveloppait le sommet de sa tête, son bras en écharpe, et, plus que tout, trois ou quatre chevelures sanglantes qui pendaient à sa ceinture, montraient qu’il avait eu maille à partir avec les Indiens, et qu’il avait été pour ainsi dire forcé de leur passer sur le ventre pour arriver au presidio.

— Zapote, lui dit le gouverneur, votre camarade Pablito sort d’ici.

— Je le sais, colonel, répondit le vaquero.

— Auriez-vous à nous apprendre des nouvelles pires que celles qu’il nous a apportées ?

— C’est suivant comme vous voudrez les prendre, Seigneurie.

— Qu’entendez-vous par ces paroles ?

— Dame ! reprit l’autre en se dandinant légèrement, si vous aimez votre tranquillité, il est probable qu’avant peu elle sera troublée considérablement, et alors les nouvelles dont je suis porteur n’auront rien de fort agréable pour vous ; au lieu que, si vous sentez le besoin de monter à cheval et de voir de près les Peaux-Rouges, vous pourrez facilement vous passer cette fantaisie, et tout ce que j’ai à vous dire ne pourra que vous faire infiniment de plaisir.

Malgré la gravité des circonstances et l’anxiété qui les dévorait, le gouverneur et les officiers ne purent s’empêcher de sourire de la singulière argumentation du vaquero.

— Expliquez-vous, Zapote, lui dit don José, nous verrons ce que nous devons penser de vos nouvelles.

— Dix minutes à peine après le départ de mon camarade, dit-il, en furetant dans les buissons, qu’il m’avait semblé voir s’agiter d’une manière insolite, je découvris un peon, mais sa frayeur était tellement grande, qu’il avait à peine la force de parler et que ce ne fut qu’après une demi-heure qu’il parvint à me conter les dangers auxquels il s’était soustrait. Ce peon appartenait à un pauvre vieillard nommé Ignacio Rayal, l’un des deux seuls hommes échappés au massacre des habitants de la péninsule de San-José, par les Apaches, pendant la dernière invasion il y a vingt ans ; le peon et le maître sans défiance cherchaient du bois lorsque les Indiens apparurent subitement à peu de distance ; le peon avait eu le temps de se cacher dans un terrier de biscacha, mais le vieillard, trop faible pour se sauver, était tombé au pouvoir des sauvages, qui l’avaient massacré avec les raffinements d’une barbarie inouïe ; son corps était méconnaissable, tant il était criblé de blessures : il avait reçu plus de vingt coups de lance, et sa tête était littéralement broyée par les tomahawks. Après avoir tant bien que mal rassuré le peon que je laissai se remettre à notre embuscade, je m’avançai du côté qu’il m’avait désigné et je ne tardai pas à apercevoir une multitude d’Indiens traînant avec eux des