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LES CHASSEURS D'ABEILLES

assez rapprochée des barrières afin de prendre quelques instants d’un repos indispensable.

Parmi les défenseurs du faubourg se trouvaient certaines de nos connaissances ; Pablito, el Verado, Tonillo et Carlocho. Les dignes vaqueros avaient, depuis l’apparition des Indiens, donné des preuves de fidélité tellement irrécusables, que sur leur demande et pour récompenser leur belle conduite, le major leur avait confié la garde de la barrière la plus avancée, qui était pour ainsi dire la clef du faubourg.

Quelques instants après le coucher du soleil, les quatre hommes se trouvaient réunis au pied de la barrière et se parlaient oreille à oreille ; une douzaine d’autres chenapans de leur espèce, groupés à quelques pas d’eux, attendaient évidemment le résultat de leur mystérieux conciliabule.

Enfin, ils se levèrent, l’entretien était terminé.

— Ainsi, dit Carlocho en forme de péroraison, c’est convenu, à dix heures.

— À dix heures, répondit péremptoirement el Zapote, un homme n’a que sa parole : nous avons été grassement payés, nous devons accomplir la promesse que nous avons faite, d’autant plus que nous n’avons reçu que la moitié de la somme.

— C’est juste, reprirent les autres d’un air convaincu, la perte serait trop grande.

— Je crois bien ! s’écria el Zapote ; songez donc, quéridos, vingt-cinq onces chacun !

Les bandits se pourléchèrent comme des hyènes qui éventent un cadavre et leurs yeux brillèrent de convoitise.

Le major, à demi étendu sur une butacca, dormait de ce sommeil inquiet de l’homme dont l’esprit est préoccupé par de graves intérêts, lorsque tout à coup il se sentit secouer avec force pendant qu’une voix étranglée par l’émotion criait à son oreille :

— Levez-vous ! major, levez-vous ! Nous sommes trahis : les vaqueros ont livré la barrière aux Apaches, les Indiens sont dans la place.

L’officier bondit sur pied, saisit son épée et s’élança au dehors sans répondre, suivi de près par l’homme qui l’avait si brusquement éveillé et qui n’était autre qu’un soldat mexicain.

D’un coup d’œil le major reconnut la vérité de la désastreuse nouvelle qu’il venait de recevoir ; el Zapote et ses compagnons avaient non seulement livré la barrière aux Apaehes, mais encore ils s’étaient mêlées avec eux, suivis des quelques misérables dont nous avons parlé plus haut.

La position était des plus critiques ; les Mexicains, découragés par la défection honteuse des vaqueros, combattaient mollement et sans ordre, ne sachant si d’autres trahisons n’étaient pas à redouter, et n’osant par conséquent faire bravement face à l’ennemi.

Les Apaches et les vaqueros hurlaient comme des démons et poussaient des charges à fond de train sur les défenseurs démoralisés du presidio qu’ils massacraient impitoyablement.

C’était un horrible spectacle que celui qu’offrait cette lutte homicide aux reflets blafards des flammes de l’incendie allumé par les Indiens pour éclairer