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LES CHASSEURS D'ABEILLES

Les Apaches n’avaient été vainqueurs que grâce à la trahison des vaqueros.

Le colonel attendait son ami sur la plage ; il le félicita de sa belle défense et le consola de sa défaite qui, à ses yeux et pour les résultats, équivalait presque à une victoire, à cause des pertes énormes que l’ennemi avait dû subir.

Puis, sans perdre un instant, les deux officiers se mirent en mesure de compléter les moyens de défense de la place en donnant l’ordre de construire de forts retranchements sur la rive du fleuve et en faisant établir deux batteries de six canons chaque dont les feux se croisaient.

La prise du vieux presidio par les Indiens, arrivée par la trahison des vaqueros, était un échec immense pour les Mexicains, dont les communications avec les nombreuses haciendas situées sur cette rive se trouvaient coupées. Heureusement que dans la prévision de ce résultat, presque inévitable avec le peu de forces dont disposait le colonel, celui-ci avait fait complètement émigrer dans le haut de San-Lucar toute la population de ce faubourg ; les maisons avaient été démeublées, les chevaux et les bestiaux enlevés, et les embarcations avaient toutes été mouiller sous les batteries du fort où elles se trouvaient en sûreté, provisoirement du moins.

Les Indiens étaient maîtres du faubourg, il est vrai, mais ce succès leur avait coûté des pertes immenses que l’avantage de sa possession était loin de racheter pour eux. Les Mexicains n’avaient, en définitive, perdu qu’un espace de terrain insignifiant et difficile à défendre, car le vieux presidio n’était aucunement la clef de la place, dont il ne dépendait que d’une manière incertaine, et qui en était séparée par toute la largeur du fleuve.

Aussi l’effet produit par ce combat dans les deux camps fut tout le contraire de ce qu’on devait le supposer.

Les Mexicains se félicitaient presque de ne plus être obligés de défendre un poste qui leur était presque inutile dans leur position et leur coûtait un sang précieux, tandis que les Apaches se demandaient tristement à quoi leur servirait ce faubourg si chèrement conquis et à la prise duquel plus de cinq cents de leurs plus braves guerriers avaient été tués sans résultats positifs.

Deux vaqueros jetés à bas de leurs chevaux pendant la retraite des Mexicains avaient été faits prisonniers par eux.

Le colonel rassembla un conseil de guerre, fit planter deux hautes potences un peu en dehors du retranchement qu’on élevait sur le bord du fleuve et les fit pendre à la vue de toute la population réunie et de leurs compagnons qui, groupés de l’autre côté dans le faubourg, poussaient des cris de rage impuissante en les voyant exécuter.

Don José Kalbris n’était pas un homme cruel, mais dans cette circonstance il pensa avec raison qu’il devait faire un exemple afin d’effrayer ceux qui dans la suite pourraient avoir la velléité de les imiter. Un bando affiché au pied de chaque potence disait qu’il en serait fait autant à tous les vaqueros révoltés qui tomberaient aux mains des troupes mexicaines.

La nuit vint sur ces entrefaites, et les Indiens, comme pour narguer les Blancs, se divertirent à incendier le faubourg qu’ils avaient conquis la nuit