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Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/326

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LES CHASSEURS D’ABEILLES

sa douleur dans son cœur pour ne pas augmenter l’angoisse de don Pedro, et ce fut les yeux secs et le visage riant qu’elle vint se mêler aux voyageurs.

Cependant le temps se passait, l’heure du repos était arrivée, les peones s’étaient les uns après les autres roulés dans leurs zarapés et s’étaient endormis, moins les sentinelles chargées de veiller au salut commun.

Don Fernando, la tête appuyée sur la paume de la main droite, était depuis longtemps déjà plongé dans de sérieuses réflexions ; ses amis n’échangeaient qu’à de longs intervalles de courtes paroles entre eux à voix basse, pour ne pas le troubler ; ils soupçonnaient que le chasseur mûrissait quelque hardi projet ; seul, le lepero, avec cette insouciance qui le caractérisait, s’était allongé sur le sol, et assez indifférent à ce qui se passait autour de lui, il se préparait à dormir ; déjà ses paupières s’alourdissaient ; il se trouvait arrivé à ce degré de somnolence qui n’est plus la veille sans être complètement le sommeil, lorsqu’il fut brusquement tiré de cette demi-léthargie par don Fernando qui le secouait vigoureusement :

— Holà ! seigneurie, que me voulez-vous ? dit-il en se redressant brusquement et en se frottant les yeux.

— Es-tu capable d’un véritable dévouement ? lui dit brusquement le chasseur.

— Déjà vous m’avez une fois adressé cette question, seigneurie, répondit-il ; je vous ai répondu oui, si je suis bien payé : or vous m’avez payé royalement ; un seul homme aurait pu prendre dans mon esprit la priorité sur vous : cet homme était don Torribio Quiroga ; il est mort ; vous restez seul, parlez : jamais chien ne vous aura obéi plus fidèlement que je le ferai à votre moindre signe.

— Je ne veux pas mettre à une trop rude épreuve, quant à présent, cette fidélité de fraîche date : Je me bornerai donc à vous laisser ici ; seulement souvenez-vous d’agir franchement et sans arrière-pensée avec moi, car de même que je n’ai pas hésité à vous donner des arrhes du marché que je consens faire avec vous, de même, je n’hésiterai pas, soyez-en bien sûr, à vous tuer raide, si vous me trompez, et soyez bien persuadé que nul endroit, si caché qu’il soit, ne pourra, le cas échéant, vous soustraire à ma vengeance.

Le lepero s’inclina et répondit avec un accent de franchise rare chez un pareil bandit :

— Señor don Fernando, sur la croix de Notre-Seigneur, qui est mort pour la rédemption de nos péchés, je vous jure que je me donne loyalement à vous.

— Bien ! fit le chasseur, je vous crois, Zapote, maintenant vous pouvez dormir, si bon vous semble.

Le lepero ne se fit pas répéter l’autorisation, cinq minutes plus tard il dormait effectivement à poings fermés.

— Señores, dit don Fernando en s’adressant à ses amis, vous êtes libres de vous livrer au repos ; quant à moi, je veillerai une partie de la nuit ; don Pedro, ayez bon courage, la position est loin d’être désespérée ; plus j’y réfléchis, plus je crois que nous réussirons à enlever au Tigre la proie qui palpite sous sa griffe et qu’il se prépare à dévorer ; ne soyez pas inquiet, et si demain vous ne me voyez pas, — du reste, mon excursion ne sera pas