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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Ne perdons pas davantage notre temps, dit le Chat-Tigre avec impatience ; écoute-moi et tâche de me comprendre : Doña Hermosa est près d’ici ; elle t’attend, je lui ai promis de vous réunir, je suis chargé par elle de dire certaines choses à son père : il faut donc que je me rende à ton campement ; je vais d’abord te conduire au mien. Triste campement, ajouta-t-il avec un soupir, de tous mes fidèles, il ne me reste que quatre hommes, les autres sont morts.

— Oui, j’ai rencontré leurs cadavres sur la route, c’est vous qui êtes cause de leur mort : pourquoi les avez-vous amenés ici ?

— Peu importe, ce qui est fait est fait ; voyons, le temps presse : veux-tu me suivre ? j’agis franchement avec toi.

— Non, je ne vous crois pas : pour quelle raison vous êtes-vous retiré dans cette effroyable contrée ?

— Ne l’as-tu pas deviné, enfant ? Parce que là seulement j’étais certain que ma proie ne me serait pas ravie.

— Vous vous êtes trompé, puisque me voilà !

— Peut-être ! répondit le Chat-Tigre avec un sourire indéfinissable. Finissons-en ! tiens ! prends mon rifle, dis à ton ami, dont je vois à travers les branches briller le canon du fusil, de te rejoindre ; à présent que vous serez deux contre un homme désarmé, tu ne craindras pas de me suivre, peut-être.

Le chasseur demeura un instant silencieux.

— Venez, Estevan, dit-il au bout d’un instant.

Le jeune homme le rejoignit aussitôt.

— Gardez votre rifle, continua don Fernando en s’adressant au Chat-Tigre, nul ne doit marcher désarmé au désert.

— Merci ! Fernando, répondit le vieux chef, tu as compris qu’un coureur des bois ne devait pas quitter son rifle, merci ! Suivez-moi et ne craignez rien.

Le Chat-Tigre se mit immédiatement en route, suivi pas à pas par les deux jeunes gens.

Au bout d’une heure ils atteignirent le campement du chef, établi à mi-côte du Voladero, dans une grotte assez spacieuse.

Le Chat-Tigre n’avait pas menti : de tous ses compagnons quatre seulement avaient survécu.

— Avant d’aller plus loin, dit en s’arrêtant le chef, voici ce que j’exige de toi.

— Vous exigez ? répondit le chasseur en scandant les mots avec ironie.

Le Chat-Tigre haussa les épaules.

— Sur un signe de moi, ces hommes poignarderont sans pitié doña Hermosa ; tu vois que je puis exiger.

Le jeune homme se sentit frissonner dans tous les membres.

— Parlez, dit-il d’une voix étranglée par la colère.

— Je vais te laisser seul ici avec doña Hermosa. Moi, ton compagnon et les quatre hommes qui me restent, nous quitterons à l’instant le Voladero ; dans deux jours, pas avant, tu abandonneras la montagne et tu te rendras à ton camp, où je t’attendrai.