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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Lorsque don Pedro s’éveilla le matin, Na Manuela lui apprit le départ de don Fernando en compagnie de son fils.

— Je me doutais qu’il en serait ainsi, répondit-il en étouffant un soupir, lorsque hier au soir j’ai vu don Fernando aussi préoccupé ; je suis heureux que votre fils l’ait accompagné, ma bonne Manuela, car, si mes prévisions sont justes, don Fernando va tenter une périlleuse expédition : Dieu veuille qu’il réussisse à me rendre ma fille ! Hélas ! mieux aurait valu peut-être qu’il me consultât avant son départ : nous sommes ici une vingtaine d’hommes résolus qui aurions pu obtenir sans doute un résultat plus décisif que deux hommes seuls, malgré toute leur bravoure et tout leur dévouement.

— Ce n’est pas mon opinion, répondit Na Manuela. Dans le désert on ne fait généralement qu’une guerre de surprise, et deux hommes font souvent davantage à cause de leur apparente faiblesse, qui leur permet de glisser inaperçus, qu’un nombre considérable d’individus ; dans tous les cas, ils ne seront pas longtemps dehors, je le suppose, et nous aurons bientôt des nouvelles certaines de la niña.

— Plaise à Dieu que ces nouvelles soient bonnes, Manuela, car, après les douleurs qui m’ont assailli, si je perdais ma fille aussi malheureusement, je ne lui survivrais pas !

— Chassez ces noires pensées de votre esprit, señor ; tout dépend de la Providence : j’ai l’espoir qu’elle ne nous abandonnera pas dans notre affliction.

— Enfin, soupira don Pedro, nous sommes forcément contraints à l’inaction, il nous faut prendre patience jusqu’au retour de nos batteurs d’estrade.

La journée se passa sans incident digne d’être rapporté ; el Zapote, parti pour la chasse au lever du soleil, avait tué un elle.

Le lendemain, vers dix heures du matin, un Indien sans armes se présenta aux sentinelles en demandant à parler à don Pedro ; celui-ci ordonna qu’il fût introduit.

Cet Indien était un Apache à la figure cauteleuse et aux manières sournoises ; amené en présence de l’haciendero, qui en ce moment causait avec le capataz, il se tint immobile et les yeux baissés, attendant, avec cette froide impassibilité qui caractérise la race rouge, qu’on lui adressât la parole.

L’haciendero l’examina un instant attentivement.

L’Indien supporta sans se troubler l’examen dont il était l’objet.

— Que désire mon frère ? lui demanda don Pedro, qui est-il ?

— Le Zopilote est un guerrier apache, répondit le Peau-Rouge ; le sachem de sa tribu l’envoie vers le chef des visages pâles.

— C’est moi qui suis le chef des visages pâles, vous pouvez vous acquitter de votre mission.

— Voici ce que dit le Chat-Tigre, reprit l’Apache toujours impassible.

— Le Chat-Tigre ! s’écria don Pedro avec un mouvement de surprise qu’il ne put maîtriser : que me veut-il ?

— Si mon père écoute, le Zopilote le lui dira.

— C’est, juste. Parlez donc, Peau-Rouge !

— Voici ce que dit le Chat-Tigre : Un nuage s’est élevé entre le Chat-Tigre et le chef des visages pâles qui sont entrés sur les territoires de chasse de