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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Le vieillard marchait d’un pas lent, la tête haute et les sourcils froncés sous la tension d’une pensée sérieuse ; la flamme de la torche qu’il tenait de la main droite se jouait capricieusement sur son visage et imprimait à sa physionomie une expression étrange où se reflétaient tour à tour la haine, la joie et l’inquiétude.

Arrivé à son cuarto, s’il est permis de donner le nom de chambre à une espèce de trou de dix pieds de long sur sept de haut, dans lequel ne se trouvaient pour tous meubles que quelques crânes de bisons épars ça et là et une poignée de paille de maïs négligemment jetée dans un coin, destinée sans doute à servir de couche à l’habitant de ce triste refuge, le Chat-Tigre entra, fixa sa torche d’ocote dans un crampon de fer scellé dans le mur et, croisant les bras sur la poitrine, il redressa la tête d’un air de défi, en murmurant ce seul mot :

— Enfin !

Mot qui résumait sans doute, dans sa pensée, une longue suite de sombres et hardies combinaisons.

Après avoir prononcé ce mot, le vieillard jeta un regard investigateur autour de lui, comme s’il eût redouté d’être entendu ; un sourire railleur glissa sur ses lèvres pâles : il s’assit sur un crâne de bison, laissant tomber sa tête dans ses mains, et se plongea dans de profondes réflexions.

Un laps de temps assez prolongé s’écoula sans que cet homme changeât de position ; enfin, un bruit assez léger frappa son oreille ; il redressa vivement la tête, et, se tournant vers l’entrée de la cellule :

— Arrivez donc, dit-il ; je vous attends avec impatience.

— J’en doute ! répondit une voix rude.

Et le jeune chasseur parut sur le seuil où il s’arrêta la tête haute et le regard fier et provocateur.

Un nuage passa sur le front du Chat-Tigre, mais se remettant aussitôt :

— Oh ! oh ! fit-il avec une feinte gaité ; en effet, ce n’était pas toi que j’attendais, muchacho ; c’est égal, sois le bienvenu.

Le jeune homme ne bougea pas.

— Est-ce bien votre pensée que vous exprimez en ce moment ? répondit-il en ricanant.

— Pourquoi ne serait-ce pas ma pensée, ai-je donc l’habitude de la déguiser ?

— Dans certaines circonstances cela peut être utile.

— Je ne dis pas non ; mais ici, ce n’est pas le cas. Allons ! entre, assieds-toi et causons.

— Oui, répondit le jeune homme en faisant quelques pas en avant, d’autant plus que j’ai une explication sérieuse à vous demander.

Le Chat-Tigre fronça le sourcil et reprit avec un commencement de colère mal contenue :

— Est-ce à moi que tu parles ainsi, as-tu donc oublié qui je suis ?

— Je n’ai rien oublié de ce dont je doive me souvenir, dit nettement le chasseur.

— Hum ! tu oublies trop, garçon, que je suis ton père.