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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Il est absent en ce moment, señorita, répondit-il en souriant, absent pour votre service ; mais je crois qu’il sera bientôt de retour.

La jeune fille se préparait à demander l’explication de ces paroles, lorsqu’un bruit ressemblant au roulement d’un tonnerre lointain s’éleva de la forêt, et d’instant en instant devint plus fort.

— Justement, señorita, reprit le Chat-Tigre, l’homme que vous désirez vous arrive, il sera ici dans quelques minutes. Le bruit que vous entendez est produit par le galop des chevaux qu’il amène.


VI

LE VOYAGE


En effet, au bout de quelques instants les voyageurs virent une troupe assez nombreuse de cavaliers émerger de la forêt.

Le Cœur-de-Pierre marchait en tête de cette troupe ; don Pedro reconnut, avec un vif mouvement de satisfaction, que les chevaux et les mules de charge qui lui avaient été si audacieusement dérobés venaient à la suite du détachement.

— Ah ! ah ! fit-il, les voleurs ont été contraints de lâcher leur proie.

— Il parait, répondit le vieillard avec un imperceptible sourire.

Cependant le chasseur avait fait arrêter sa troupe à peu de distance du teocali ; lui-même avait mis pied à terre et s’était avancé vers les voyageurs, auprès desquels il arriva bientôt.

— Je vois que vous avez réussi dans votre expédition, lui dit le Chat-Tigre d’un ton railleur.

— Oui, répondit-il laconiquement en détournant la tête.

— Je suis heureux de cette circonstance, reprit le vieillard en s’adressant à don Pedro, vous rentrerez, grâce à elle, sur vos propres chevaux et sans avoir rien perdu, dans votre habitation.

— Je ne sais réellement comment reconnaître toutes les obligations que je vous ai, señor, répondit l’haciendero avec un accent pénétré.

— En ne me remerciant pas : ma conduite envers vous a été toute simple et dictée seulement par l’intérêt que m’inspirait votre malheureuse position.

Bien que l’intention évidente du Chat-Tigre fût de faire une réponse courtoise, ces paroles furent sifflées d’une voix si ironique, avec un accent de sarcasme si prononcé, que le Chat-Tigre produisit un effet tout contraire de celui qu’il voulait atteindre ; sans en comprendre bien la raison, don Pedro se sentit blessé comme si au lieu d’un compliment on lui eût adressé une insulte.

— Finissons-en, dit brusquement le Cœur-de-Pierre, le soleil est haut déjà, et il est temps de partir si vous voulez traverser la forêt avant la nuit.

— En effet, reprit le Chat-Tigre, malgré le chagrin que j’éprouve de vous