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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Peut-être est-ce un ours gris, murmura l’haciendero.

— Ou un cougouar en quête d’une proie, répondit a voix basse le capataz.

Cependant l’anxiété des voyageurs était vive : abandonnés sans armes pour se défendre dans cette forêt, ils comprenaient que, si effectivement une bête féroce les attaquait, leur perte était certaine, car la fuite même leur était impossible à cause de leur ignorance des lieux.

— Vous vous trompez, dit la jeune fille, qui seule avait conservé son sang-froid et sa présence d’esprit, nul danger ne nous menace : voyez, les chevaux continuent à paître sans témoigner la moindre inquiétude.

— C’est vrai, observa don Pedro ; s’ils avaient senti l’âcre fumet d’une bête fauve, ils seraient fous de terreur et auraient déjà pris la fuite.

Soudain les buissons s’écartèrent, et le chasseur parut conduisant son cheval par la bride.

— J’en était sûre ! s’écria la jeune fille avec un accent de triomphe, pendant que son père et le capataz, honteux de leurs soupçons, baissaient la tête en rougissant.

Le visage du chasseur était froid et aussi impassible que lorsqu’il avait quitté la clairière, seulement sa physionomie était plus sombre.

Son cheval portait sur le dos un lourd paquet de forme oblongue fait d’une peau de bison soigneusement ficelée.

— Vous m’excuserez de vous avoir aussi brusquement quittés, dit-il d’une voix empreinte d’une certaine émotion, mais je me suis aperçu trop tard que vos armes vous avaient été enlevées, à moins, ce que je ne suppose pas, que vous les ayez oubliées au teocali, et, comme il est plus que probable que vous aurez à vous défendre avant de sortir du désert, je suis allé chercher ces armes qui vous manquaient.

— Ainsi, c’est pour cela que vous nous avez quittés ?

— Pourquoi l’aurais-je fait ? répondit-il simplement. Je vous ai amenés en ce lieu parce que, à quelques pas d’ici, je possède une de ces caches que nous autres chasseurs nous disséminons dans le désert, afin de nous servir au besoin ; mais, ajouta-t-il avec un sourire amer, elle a été découverte et pillée, j’ai été contraint de me rendre à une seconde plus éloignée, voilà pourquoi j’ai sifflé mon cheval, dont le secours me devenait indispensable ; sans ce contretemps, je serais de retour depuis une demi-heure au moins.

Cette explication fut donnée par le chasseur sans emphase et du ton d’un homme convaincu qu’il n’a fait qu’une chose toute simple.

Il déchargea le cheval et ouvrit le ballot : il contenait cinq rifles américains, des couteaux, des sabres droits nommés machetes, de la poudre, des balles et des haches.

— Armez-vous ; ces rifles sont bons, ils ne vous failliront point quand l’heure sonnera de vous en servir.

Les Mexicains ne se firent pas répéter l’invitation ; bientôt ils furent armés jusqu’aux dents.

— Maintenant, au moins, dit le chasseur, vous pourrez vous défendre comme des hommes, au lieu de vous laisser égorger comme des antilopes.

— Oh murmura la jeune fille, je savais bien, moi, qu’il agirait ainsi.