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LES CHASSEURS D’ABEILLES

En passant, ils reprirent leurs chevaux, auxquels les quelques heures de repos qu’on leur avait données avaient rendu toutes leurs forces.

Les voyageurs continuèrent alors à s’avancer dans le souterrain. Au-dessus de leur tête ils entendaient le bruit sourd et continu des eaux ; des milliers d’oiseaux de nuit, éblouis par la clarté subite de la torche, s’éveillaient sur leur passage et tournoyaient autour d’eux en poussant des cris lugubres et discordants.

Après avoir marché ainsi rapidement pendant environ vingt-cinq minutes, le chasseur s’arrêta :

— Attendez-moi, dit-il, et, remettant la torche au capataz, il s’éloigna en courant.

Son absence fut courte, bientôt il fut de retour.

— Venez, dit-il, tout va bien.

Ils le suivirent de nouveau ; soudain un air frais et piquant les frappa au visage et devant eux dans l’obscurité ils virent briller deux ou trois points lumineux ; ils avaient atteint le second rocher.

— Maintenant il faut redoubler de prudence, dit le chasseur. Ces points que vous apercevez dans le brouillard sont les feux de campement des Apaches ; ils ont l’oreille fine, le bruit le plus léger révélerait notre présence.

La pirogue fut remise à l’eau, les Mexicains s’embarquèrent ; le capataz, placé à l’arrière de la frêle embarcation, tenait réunies dans sa main les brides des chevaux qui suivaient à la nage.

La traversée dura quelques minutes à peine ; bientôt l’avant de la pirogue grinça sourdement sur le sable de la plage.

L’endroit avait été habilement choisi par le chasseur : une roche élevée projetait sur l’eau, à une assez grande distance, une ombre tellement épaisse qu’à dix pas il eût été impossible de distinguer les voyageurs.

Le couvert de la forêt éloigné de vingt pas à peine de la plage offrit immédiatement la protection de ses broussailles aux fugitifs.

— La señorita demeurera ici avec un peon pour garder les chevaux, dit rapidement le chasseur, pendant que nous tenterons notre coup de main.

— Non, répondit résolument la jeune fille, je n’ai besoin de personne ; l’homme que vous laisseriez avec moi vous ferait faute ; donnez-moi un pistolet pour me défendre au cas peu probable où je serais attaquée, et partez.

— Cependant, objecta le jeune homme, señorita…

— Je le veux ! dit-elle péremptoirement ; allez ! et que Dieu nous protège !

L’haciendero serra convulsivement sa fille sur sa poitrine.

— Du courage ! mon père, lui dit-elle en l’embrassant, tout finira bien !

Elle lui enleva un pistolet et s’éloigna rapidement en lui faisant un signe d’adieu.

Le chasseur recommanda une dernière fois la prudence à ses compagnons, et la petite troupe s’engagea sur ses traces dans la forêt.

Après avoir marché en file indienne pendant environ un quart d’heure, ils aperçurent briller à peu de distance les feux des Apaches.

Sur un signe du chasseur, les Mexicains s’allongèrent sur le sol et commencèrent à ramper silencieusement, n’avançant qu’avec une extrême pré-